Cinéma, Contrôle coercitif, Lobby des pères, Mères en lutte, Résidence alternée, Violences, Violences post-séparation

Xavier Legrand : « En tant que citoyen, je me sens directement concerné par ce grave problème, et ce, d’autant plus parce que je suis un homme. »

Le couple Besson divorce. Pour protéger son fils d’un père qu’elle accuse de violences, Myriam demande la garde exclusive. La juge aux affaires familiales en charge du dossier accorde une garde partagée au père, ne sachant pas identifier le contrôle coercitif d’Antoine. Julien, leur petit garçon, va tout faire pour empêcher que le pire n’arrive. Sorti le 7 février 2018 en France, le film de Xavier Legrand Jusqu’à la garde, nous fait vivre la réalité de la violence post-séparation. Sollicité pour répondre aux questions de Gwénola Sueur le réalisateur nous plonge au coeur du processus de création d’une oeuvre exceptionnelle.

Gwénola Sueur : Les violences conjugales post-séparation affectent un nombre important de femmes et d’enfants et la séparation représente un risque accru de dangerosité. Ainsi en 2017 en France 131 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-compagnon, essentiellement par arme à feu. 13 enfants ont été tués en même temps que leurs mères. Dans votre remarquable film vous illustrez ce que de nombreuses études, et notre expertise du terrain révèlent, à savoir des lacunes dans l’identification de la violence conjugale en contexte post-séparation par le système socio-judiciaire, avec cette audience en ouverture du film dans le bureau de la juge aux affaires familiales. Xavier Legrand pourquoi abordez-vous cette thématique des violences post-séparation pour votre premier film ?

Xavier Legrand : Parce que c’est une tragédie, une pandémie dans notre société. Comment continuer à accepter que ce fléau persiste, sans que rien n’évolue ?

En tant que citoyen, je me sens directement concerné par ce grave problème, et ce, d’autant plus parce que je suis un homme. C’est pourquoi j’ai choisi d’aborder cette thématique pour mon premier film : par urgence, car elle ne pouvait, en aucun cas, attendre le deuxième ou le troisième.

Gwénola Sueur : Denis Ménochet ne joue pas mais incarne véritablement cet homme violent, Antoine, qui n’accepte pas la séparation conjugale et instrumentalise systématiquement l’exercice conjoint de l’autorité parentale pour maintenir son contrôle sur son ex-femme Myriam (Léa Drucker). Comment et auprès de qui vous êtes vous informés tous les trois pour documenter de manière aussi didactique le contrôle coercitif post-séparation, véritable terrorisme intime occulté par notre société ?

Xavier Legrand : Il y a eu un long moment de recherches pendant lequel je me suis documenté avec plusieurs supports. Tout d’abord des ouvrages comme Violences Conjugales et Parentalité d’Édouard Durand (éditions de l’Harmattan) qui a été très précieux pour comprendre ce problème particulier. J’ai consulté de nombreux témoignages de femmes ayant été victimes d’hommes violents, des études sociologiques, des livres d’études psychologiques sur la manipulation et/ou la perversion narcissique (Marie-France Hirigoyen, Isabelle Nazare-Aga…). Je me suis nourri de nombreux documentaires et émissions consacrées à la violence conjugale. Puis, après être passé par des fictions qui abordent également ce sujet, j’ai décidé d’aller sur le terrain : j’ai rencontré des anciennes victimes qui m’ont raconté leurs histoires, j’ai assisté à des groupes de parole d’hommes auteurs de violence, j’ai suivi une Juge aux Affaires Familiales pendant plusieurs jours, j’ai passé des nuits dans un Centre d’Informations et de Commandement de Police Secours.

Il me fallait entrer concrètement dans la peau de la violence conjugale. Toute cette expérience m’a servi à construire les personnages depuis l’écriture jusqu’au tournage avec les acteurs.

Gwénola Sueur : Nous avons travaillé pendant plusieurs mois à l’élaboration du rapport du Centre Hubertine Auclert sur les enfants co-victimes de la violence conjugale. Julien (Thomas Gioria) sert véritablement de bouclier humain, comme dans un conflit armé, pour protéger sa mère. Afin de rompre l’emprise Myriam (Léa Drucker, incroyable de justesse tout au long du film) refuse catégoriquement de voir Antoine, seule manière de résister au contrôle post-séparation et à la violence. Juste après la décision du juge aux affaires familiales, elle décide de ne pas présenter l’enfant. Pour construire votre script Xavier Legrand avez-vous rencontré des enfants exposés à la violence conjugale ainsi que des mères séparées ? Que vous ont-ils appris ?

Xavier Legrand : Oui, j’ai rencontré beaucoup de femmes comme je le disais plus haut. Je n’ai pas pu rencontrer les enfants. La plupart des mères craignaient de les perturber encore plus ou parce que cela aurait pu avoir des répercussions négatives sur une situation qu’elles jugeaient déjà assez anxiogène. J’ai en revanche rencontré quelques adultes qui ont été des enfants otages ou enfants boucliers.

Tous ces précieux témoignages m’ont appris beaucoup de choses importantes, dans lesquelles on retrouve des schémas communs dans toutes leurs histoires. La peur, l’anxiété, la pression, l’anticipation du danger est le quotidien de ces personnes.

Après la séparation, les femmes sont comme immobilisées dans leur vie. Les enfants sont les seuls liens qui les « ligotent » à leurs anciens agresseurs prêts à tout pour les empêcher de continuer à reconstruire leur vie.

Ces hommes ont choisi la violence pour exercer un pouvoir sur leurs femmes qu’ils jugent leur appartenir. Quand la séparation survient, c’est un échec pour eux et ils ne supportent pas de perdre l’emprise sur celles qu’ils ont réussi à contrôler par la peur et par la terreur pendant plusieurs années. Au point où, lorsqu’ils comprennent qu’ils ne parviendront pas à les récupérer, ils préfèrent les savoir mortes que vivantes sans eux. Unis « jusqu’à ce que la mort les sépare », ils préfèrent donc que ce soit la mort qui les sépare plutôt qu’elles qui auront décidé de mettre un terme à leur union.

Avant d’en arriver à ces situations extrêmes, ce sont des jours et des nuits de harcèlements, de menaces, de pressions qui surviennent majoritairement au moment des échanges de week-end entre les deux parents. La vengeance survient sur des histoires d’horaires, d’affaires oubliées ou à récupérer, d’évènements qui surviennent pendant le droit de visite et d’hébergement de l’autre parent, mettant les enfants au centre de la guerre.

Chez les enfants, on constate qu’il y a plusieurs comportements selon les âges et les sexes. Chez les garçons, soient ils reproduisent la violence en s’identifiant à l’agresseur qui aura réussi à retourner l’enfant contre leur mère, soit ils développent un syndrome d’hyper-vigilance, essayant à tous prix de protéger la mère de l’agresseur. (C’est la résultante que j’ai choisi pour construire le personnage de Julien). Chez les filles, il y a plus un phénomène de fuite. Beaucoup d’entre elles fuient une cellule familiale pour en créer une autre précocement. J’ai été assez frappé par la récurrence de ce schéma (c’est pourquoi le personnage de Joséphine dans le film est construit en intrigue secondaire, puisqu’elle n’est pas directement concernée par la question de la garde, en revanche, son comportement est directement lié à la crise que traverse sa famille).

Gwénola Sueur : Myriam (Léa Drucker) n’a pas suffisamment de preuves, retire une plainte sous la pression de l’agresseur et refuse de déposer plainte quand Antoine a un nouvel acte de violence envers elle : « ça ne sert à rien ». Nous constatons sur le terrain cette difficulté d’apporter la preuve mais aussi que malgré des condamnations pour violences domestiques des pères obtiennent malgré tout des DVH classiques, des résidences alternées voire des gardes exclusives. Que vous inspirent ces situations Xavier Legrand et comment à votre avis remédier à ces mises en danger de la vie d’autrui ?

Xavier Legrand : Je pense fondamentalement qu’il y a le pouvoir des mots et des définitions. Ils sont très importants puisqu’ils construisent des sens. Le problème vient de la nomination « violence conjugale » qui veut dire littéralement « violence entre conjoints ». Par cette définition, on indique que le violence est tournée vers le conjoint et non vers les enfants. C’est donc (soit disant) un problème de conjugalité et non de parentalité.

En découle alors une question : Un conjoint violent peut-il être un bon parent ? C’est ce que notre société suppute, donc les décisions judiciaires cristallisent cette théorie : « un mari violent peut être un bon père ». Pour ma part, cette théorie est un mythe. Tant que la société, la mentalité collective pensera cela, nous ne parviendrons pas à avancer et à protéger les enfants.

Je citerai une phrase d’Édouard Durand qui m’a suivie tout le long du processus de création de mon film : « La mère peut protéger l’enfant et c’est à la société qu’il revient de protéger la mère.» Tant que les plaintes des femmes victimes de leurs conjoints ne seront pas sérieusement prises en compte dans la question parentale, tant que les retraits de plainte ne seront pas compris comme la résultante d’une menace supplémentaire, d’une peur d’alimenter la violence de l’agresseur et ses représailles, le chien se mordra la queue indéfiniment et tous les trois jours, dans notre pays, une femme sera assassinée, et sans doute ses enfants s’ils sont présents au moment des faits.

Gwénola Sueur : En 2013 des pères sont montés sur des grues pour revendiquer leur droit à l’enfant. Le film Kramer contre Kramer que vous citez a inspiré en France des débats en faveur des droits des pères. Dans un article accordé à Richard Mowe vous déclarez être allé dans des groupes de parole d’hommes violents. Un chercheur américain, Evan Stark, fait l’hypothèse que dans ces groupes de parole les hommes perfectionnent leurs tactiques de contrôle « sans acte physique de violence ». Qu’avez-vous avez constaté dans ces groupes d’hommes et comment avez-vous réussi à vous détacher de la rhétorique des militants de la cause paternelle priorisant la garde partagée même en cas de violences conjugales en s’appuyant sur des théories sans fondement scientifique comme le syndrome d’aliénation parentale pour museler les victimes ?

Xavier Legrand : Ces groupes de paroles sont très instructifs pour comprendre la pathologie des sujets mais il est vrai que je doute de leur efficacité. Le problème est que ces hommes sont dans le déni de leur violence et se considèrent comme étant les victimes de ces femmes qui ont décidé de les quitter ou qui les menacent de le faire. La plupart d’entre eux viennent « pointer » plutôt que de résoudre leur problème. Une thérapie n’a d’effet que si le sujet comprend qu’il a un problème profond à résoudre et qu’il veut s’en sortir. Je suis navré d’être aussi trivial dans ma comparaison mais c’est comme pour arrêter de fumer : si le sujet n’a pas conscience de son addiction et qu’il n’a pas véritablement la volonté de s’en sortir, il continuera à chercher quelque bouffées autour de lui, puis à quémander une cigarette avant de finalement retourner au bureau de tabac pour acheter un autre paquet et recommencer. Peu d’hommes courageux comme Frédéric Matwies, auteur du livre Il y avait un monstre en moi : témoignage d’un ex-mari violent (éditions Michalon) ont réussi à prendre conscience de leur problème et ont été habité par un véritable désir de changer. Si on en revient encore au pouvoir des mots, on remarque que dans le titre du livre que je viens de citer, il y a le terme « monstre ». Je crois que là aussi il y a quelque chose d’intéressant à constater.

Paradoxalement, même si la société semble finalement favoriser la continuation de l’exercice de la violence de ces hommes par certaines décisions judiciaires (en maintenant un DVH, considérant qu’un homme violent peut être un bon père), la société considère également ces hommes comme des monstres.

Les campagnes luttant contre les violences conjugales s’adressent aux femmes pour les protéger, ce qui est normal. Mais quel message envoient-elles à ces hommes ? Toutes les affiches mettent en scène une femmes avec des hématomes, terrorisée, larmes aux yeux, alors qu’en premier plan il y a le poing serré d’un homme qui la menace. Une campagne a même montré un homme avec une main poilue dotée de griffes, comme celle d’un « monstre » justement. Ces hommes ne peuvent se reconnaître. Ils ne peuvent accepter d’être vu comme des monstres par la société puisqu’ils se sentent eux-mêmes des victimes. Tant que la société considèrera ces hommes comme des monstres, ces hommes ne changeront pas. Comme un réflexe de protection, ils considèrent que les situations décrites dans ces mises en scène ne correspondent pas à leur réalité. Ils ne sont pas « ce monstre » et ne peuvent prendre conscience de leur problème avec un tel regard sur eux qui les rejette. Ces hommes ont choisi la violence car ils se sont construits sur des valeurs patriarcales, valeurs que notre société a elle-même fabriquées. Il faut que notre société accepte que ce sont des hommes et non pas des monstres dénués d’humanité. Il faut que nous acceptions que notre humanité compte aussi ces hommes construits sur cette violence afin qu’eux mêmes se regardent autrement et acceptent de s’en déconstruire et de s’en détourner. Le jour où les campagnes qui luttent contre les violences conjugales s’adresseront directement aux hommes peut-être que les choses prendront une autre tournure. Le jour où notre gouvernement développera aussi des moyens concrets pour prendre en charge ces hommes, peut-être que nous arriverons à faire évoluer les choses.

Pour ce qui est de la cause paternelle et de ces manifestations des « papas en colère », il est tout d’abord important de signaler une étude de la sociologue Aurélie Fillod-Chabaud datant de 2013 qui démontre que ces mouvements ne représentent qu’un échantillon infime de pères qui sont surreprésentés dans les médias. Aujourd’hui, même si notre société évolue au niveau de l’égalité des sexes et que son regard sur la paternité a changé (j’entends par là, l’évolution du congés de paternité, les systèmes qui favorisent l’implication paternelle dans l’éducation, les pères qui aujourd’hui n’ont plus de problème à pousser un landeau dans un parc sans que cela n’atteigne leur « image virile »), il est quand même intéressant de noter que dans la majorité des divorces ou séparations, les pères ne réclament pas la garde exclusive, et que la requête de la garde partagée évolue chez eux de façon tout de même assez lente.

Ces « papas en colère » qui contestent les décisions judiciaires en proclamant que la justice est toujours du côté de la mère et lui attribue toujours tous les droits, ne se basent sur aucune réalité, mais seulement du point de vue de leur propre revendications et de leur situation particulière propre.

Je suis allé sur le terrain. J’ai assisté pendant plusieurs jours à des audiences de conciliation auprès d’une Juge aux Affaires Familiales. Je peux vous assurer que les requêtes des pères qui veulent plus qu’un DVH classique, c’est-à-dire une garde alternée, une demande de résidence principale ou une garde exclusive est loin d’être majoritaire. Bien sûr, on ne peut occulter que certains pères ont été véritablement lésés dans leurs droits paternels à cause de fausse allégations de certaines femmes qui ont tout fait pour leur retirer leurs enfants. Ce phénomène rare, mais réel, a aussi envenimé d’autres situations plus douloureuses. C’est un cancer qui se propage sur la table des Juges aux affaires familiales qui parfois, vont avoir tendance à détecter une aliénation parentale de la part de la mère, alors que celle-ci est vraiment victime de violence conjugale ainsi que ses enfants réellement victimes de maltraitance. Dans le film, on voit bien que lorsque la Juge demande avec ironie « Lequel des deux ment le plus ? », elle est alors tiraillée par cette problématique qui va forcément et malheureusement orienter sa décision.

C’est pourquoi la mise en place de la garde alternée ou partagée par défaut est dangereuse, et n’est aucunement efficace dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Chaque famille traverse une histoire particulière, et chacune de ces histoires particulières ne peut trouver leur résolution dans une seule organisation de vie.

Gwénola Sueur : Lors de la diffusion de votre film, en France et à l’étranger pouvez-vous nous raconter quelles furent les réactions du public (femmes et hommes) et de la presse après avoir visionné votre film ? En ce qui concerne les journalistes ont-ils pris conscience que l’histoire que vous racontez sous la forme d’un thriller psychologique est bien la réalité de nombreuses femmes après la séparation ?

Xavier Legrand : Le film a été très bien reçu tant par le public français et étranger que par les critiques du monde entier. Les gens sont tous très émus de voir et de réaliser que ces situations, malheureusement quotidiennes sont aussi terrifiantes.

C’est ainsi que le film s’est d’ailleurs construit : une situation banale, quotidienne qui bascule dans la terreur voire l’épouvante. C’est, je crois, à la fois la reproduction très réaliste et crédible d’un sujet de société complexe et l’utilisation d’une réelle proposition de cinéma qui a pu rassembler les différents publics ainsi que les gens férus de cinéma ou les spécialistes en la matière.

C’est la cohérence du fond et de la forme que j’ai essayé de tenir du début à la fin de mon travail qui a sans doute opéré chez tout le monde. J’ai eu un grande manifestation de reconnaissance, tant chez les femmes que les hommes, qui m’ont dit :« Bravo pour le film mais surtout merci de faire un film sur ça et comme cela. » J’ai détecté comme une libération, une catharsis, notamment chez les gens qui ont vécu des situations similaires. Plusieurs personnes (hommes et femmes encore) m’ont dit avoir trouvé dans le film des mots, des sensations qu’ils avaient enfoui au plus profond d’eux-mêmes. Beaucoup m’ont dit « j’ai vécu cela », « j’ai été cette femme-là », « j’ai été cet enfant », une jeune femme m’a même dit : « vous avez parfaitement reconstitué ma vie avec ma mère et mon petit frère ».

Il y a parfois des réactions qui montrent que les mentalités ont encore besoin d’évoluer. Certains hommes et certaines femmes ont eu le réflexe de me dire que la femme était majoritairement responsable de ce qu’il lui arrive. « Elle l’a poussé à bout ». Un homme m’a déclaré : « Oui, mais elle l’a quitté ! ». Le patriarcat a malheureusement encore de bons jours devant lui.

Les journalistes ont parfaitement compris mon propos. Le film traverse en effet le genre du thriller tout en étant ancré dans la réalité. C’est visiblement un style qui n’est pas évident dans le cinéma français selon eux.

La presse a été généreuse et valorisante. Ils ont tous compris qu’il y avait non seulement une proposition cinématographique particulière mais aussi un film qui abordait un sujet qu’il était absolument important et urgent de mettre en lumière. Toutefois, il ne s’agit pas des mêmes journalistes qui remplissent les cases des faits divers dans nos quotidiens locaux.

Le problème du meurtre conjugal post-séparation est encore très mal compris par ces journalistes qui écrivent leurs articles dès le lendemain des faits (qui se passent tous les deux jours et demi partout dans notre pays), en ayant recours au champ lexical de la folie et/ou de la jalousie. Cette colonne des faits divers a souvent un arrière-goût amer et indigeste du crime passionnel. Ce ne sont pas des crimes d’amour mais des assassinats, des exécutions. « Tu me quittes, je te tues ». Je ne vois absolument pas où est l’amour dans cette rhétorique. Il serait vraiment temps que les choses changent aussi de ce côté-là.

Gwénola Sueur : Nous pensons que Jusqu’à la garde pourrait devenir un outil de formation pour mieux identifier la violence post-séparation et expliquer cette peur qu’éprouvent les victimes, sentiment et sensation difficilement mesurables et entendables par les travailleurs socio-judiciaires. Ce film devrait sans doute être diffusé à l’École Nationale de la Magistrature et dans les IRTS (Instituts régionaux des travailleurs sociaux) qui blâment et punissent des mères puisque leur résistance au contrôle coercitif post-séparation est mal interprétée. Qu’en pensez-vous et seriez-vous prêt éventuellement à traiter une suite dans un autre film ?

Xavier Legrand : Si le film peut devenir aussi un outil pédagogique et devenir le sujet d’une réflexion qui peut ouvrir les débats, cela serait sans doute une très bonne chose.

Le cinéma est une fenêtre sur le monde. Il ne peut sans doute pas le changer, mais il peut changer notre regard sur lui.

Bien sûr, je suis pour que ce film remplisse également cette mission s’il le peut. Jusqu’à la garde va d’ailleurs faire l’objet d’une projection-débat à la Maison du Barreau de Paris en mai 2018. Nous verrons ce qui en résultera.

Pour ce qui est d’une suite, je ne pense pas. Mon projet initial était de faire une trilogie de court métrages. Finalement cette trilogie s’est transformée en un court métrage intitulé Avant que de tout perdre et un long métrage Jusqu’à la garde. S’il y a une suite, pour le moment je l’ignore encore. Et s’il elle survient, ce ne sera pas pour tout de suite.

Pour en savoir plus :

Gwénola Sueur, 5 mai 2018

Cinéma, Contrôle coercitif, Mères en lutte, Résidence alternée, Violences post-séparation

Piégées

Suite à un entretien entre une étudiante en journalisme et une experte en violence post-séparation autour du film de Xavier Legrand Jusqu’à la garde, une interview fut réalisée et publiée sur le blog de Zoom la girafe.

Gwénola Sueur intègre comme bénévole des associations (dont SOS les Mamans de 2012 à avril 2018). L’écoute des victimes, ainsi que des formations qualifiantes en France et à l’international, lui permettent d’acquérir une expertise du continuum des violences, du contrôle coercitif et des violences post-séparation. Elle est sollicitée pour intervenir sur ces thématiques et participe également à des travaux collectifs sur les violences, les enfants exposés, l’aliénation parentale. Elle est en parallèle membre active du Comité Manche Droits des Femmes en Normandie depuis 2014 ; elle a co-fondé le Réseau International des Mères en Lutte avec le sociologue Pierre-Guillaume Prigent. Elle fait d’autre part partie des autrices et auteurs de l’ouvrage Antiféminismes et masculinismes d’hier et d’aujourd’hui sous la direction de C. Bard, M. Blais et F. Dupuis-Déri. L’article, co-rédigé avec Pierre-Guillaume Prigent, s’intitule Stratégies discursives et juridiques des groupes de pères séparés. L’expérience française. Elle étudie en parallèle les violences masculines et l’antiféminisme dans le cadre d’un Master 2, Études sur le genre.

Voici la version longue et remaniée de l’interview. Une mise à jour a été réalisée le 11 juillet 2019.

Qu’avez-vous pensé du film Jusqu’à la garde ?

Gwénola Sueur : Jusqu’à la garde documente de manière didactique le mécanisme de la violence post-séparation, terrorisme intime mal identifié par le système socio-judiciaire. Antoine (Denis Ménochet) n’accepte pas la séparation conjugale et instrumentalise systématiquement l’exercice conjoint de l’autorité parentale pour maintenir un contrôle coercitif sur son ex-femme Myriam (Léa Drucker). Leur enfant Julien (Thomas Gioria), comme dans un conflit armé, va servir de bouclier humain pour protéger sa mère jusqu’à ce qu’elle ait la force d’affronter l’agresseur.

Ce remarquable film devrait être montré aux travailleurs sociaux-judiciaires qui blâment les mères quand elles essayent de résister au contrôle coercitif et de se préserver ou de mettre en sécurité leur enfant.

Le mécanisme et les moyens employés par les agresseurs pour maintenir leur domination après la séparation étant mal analysés, ce film pourrait éventuellement les aider à mieux appréhender ces situations et mettre à l’abri les mères et les enfants.

La grande majorité des violences post-séparation ne sont pas physiques mais morales. Avec un fusil de chasse au casting, le film perd-t-il de son réalisme ?

Gwénola Sueur : Non, je pense que le réalisateur a bien fait de choisir cette fin anxiogène et terrifiante. Il s’agit bien de terrorisme, la violence d’Antoine devient physique (strangulation) quand Myriam lui résiste. Dans la violence domestique le plus difficile à faire comprendre aux autres est cette peur permanente. L’agresseur pour garder pouvoir et contrôle et empêcher la victime de parler instaure un climat de peur et d’insécurité. A l’écran cette émotion est d’autant mieux incarnée qu’à ces moments-là il n’y a pas de musique, juste des bruits, nous, spectateurs, ressentons avec l’enfant et la mère cette peur. Afin d’éviter la réactivation traumatique que peut entrainer le film pour des victimes je recommande d’ailleurs de ne pas rester seul.e après la séance, retrouver ses ami.e.s, sa famille éventuellement. Il est possible aussi que des adultes, anciens enfants exposés à la violence conjugale souhaitent après avoir visionné le film en parler à leur mère, aux membres de la fratrie, oser demander des explications à leur père.

Concrètement, comment définir les violences post-séparation ?

Gwénola Sueur : La violence post-séparation c’est toute forme de contrôle et de violence (sexuelle, psychologique, verbale, économique, spirituelle et physique) exercée par un ex-mari ou un ex-partenaire.

La séparation n’est pas une vaccination contre les violences bien au contraire, elles peuvent y débuter voire s’y exacerber.

L’exercice conjoint de l’autorité parentale et les moments de passage de bras deviennent les instruments des agresseurs pour poursuivre les violences et maintenir leur domination. Ils cherchent à atteindre la mère à travers les enfants qui peuvent être maltraités à leur tour. Cela consiste par exemple pour le parent-agresseur à utiliser l’enfant pour surveiller constamment l’autre parent. Le père appelle la mère tous les jours, officiellement, il dit vouloir prendre des nouvelles de l’enfant mais en réalité, il veut surtout savoir ce que fait la mère, où elle est, avec qui et la dénigrer. Le parent-agresseur utilise l’enfant en le mettant dans un rôle de confident. Pleurer devant lui, exprimer sa rage ou critiquer l’éducation donnée par l’autre parent. Autre exemple : un père qui prévoit de prendre son enfant tel week-end mais, au dernier moment, ne vient pas le récupérer. La mère doit annuler ses projets, se ré-organiser ce qui a un coût financier. Dans le film Jusqu’à la garde le petit garçon Julien est dans un conflit de protection : quand il refuse de répondre aux questions il risque des violences verbales ou du chantage affectif, quand il répond il met sa mère en danger. Des femmes me racontent qu’elles se font insulter ou frapper par leurs enfants après une semaine ou un week-end passé chez leur père, l’enfant pour se protéger s’est identifié à l’agresseur.

Dans le film, la juge ne croit pas la mère quand elle explique que son mari est violent. Est-ce que dans ces tribunaux, il existe une suspicion à l’égard de la parole des femmes ?

Gwénola Sueur : Oui absolument. Les avancées des droits des femmes ont entrainé des résistances et un backlash, un des secteurs les plus attaqués par le lobby masculiniste étant celui des droits de la famille et de l’enfance. Les stratégies discursives et juridiques des associations de pères ont bénéficié aux hommes violents. Ils ont diffusé en France des informations concernant les « fausses accusations d’abus sexuels » par l’affirmation « une allégation sur deux est fausse » s’appuyant sur les données erronées d’Arthur Green. En réalité de nombreuses études universitaires en démontrent la rareté (moins de 7 pour 1.000 selon le rapport de JL Viaux).

Les associations de pères ont importé des théories anti-victimaires comme le syndrome d’aliénation parentale, qui n’a aucun fondement scientifique, et qui fait des ravages outre-atlantique en entrainant des transferts de garde des enfants aux agresseurs.

Les enfants de parents divorcés ou séparés qui verbalisent des violences notamment sexuelles sont ainsi moins bien protégés, le parent protecteur étant grâce aux mythes autour du viol préjugé mentir. Nous constatons sur le terrain une massivité des classements sans suite, des enquêtes préliminaires bâclées. Un.e juge aux affaires familiales (JAF) peut transférer la résidence de l’enfant à un homme violent quand elle/il confond un classement sans suite pour infraction insuffisamment caractérisée avec une absence de délit et estime alors que la mère porte des accusations mensongères pour nuire à l’image paternelle. C’est pourquoi certain.e.s avocat.e.s vont jusqu’à déconseiller aux mères divorcées ou séparées de parler au JAF des violences, mais également de se porter partie civile après un classement ce qui pourrait être considéré par les travailleurs socio-judiciaires comme un acharnement à l’égard du père. Le risque de transfert de garde étant important il s’agit d’un frein à la verbalisation des violences, voire une pression à les taire et à ester en justice.

Que peut faire la femme, juridiquement, contre un père harceleur ?

Gwénola Sueur : Tout citoyen a la possibilité, en principe, de porter plainte. Le harcèlement moral est difficile à démontrer sauf si la victime a des preuves tangibles comme du cyber-harcèlement, un harcèlement par téléphone ou par mail pendant plusieurs mois voire des années. Mais dans ce cas il faut des centaines d’appels ou de messages conjugués à une dégradation des conditions de vie pour que la justice poursuive l’agresseur dont l’intention de nuire est masqué par la communication avec l’enfant. Il faut également des attestations médicales et des proches qui démontrent la dégradation de la santé. Il suffit pourtant souvent d’un seul mail ou d’un seul sms de menace pour terroriser une victime qui, comme Myriam a déjà subi des violences durant sa vie de couple et a d’ailleurs retiré une plainte sous la pression. Pareil lorsque les parents se croisent pour retrouver ou déposer l’enfant : un seul regard menaçant de l’agresseur peut réactiver le traumatisme, ce « regard qui pétrifie » et qui suffit à réaffirmer son pouvoir sur la victime.

Mais comment éviter les contacts avec le père dans le cadre d’une résidence alternée ?

Gwénola Sueur : Imposer une résidence alternée fait partie de la stratégie de l’agresseur pour isoler, dénigrer, terroriser, affaiblir économiquement. Si la justice ne les a pas protégées par une ordonnance de protection, un téléphone grand danger, des remises de l’enfant en lieu neutre ces femmes peuvent essayer de négocier avec leurs avocats pour une remise de l’enfant à l’école. Un agresseur refusera s’il veut croiser la mère en cherchant des excuses. Par exemple prétendre que l’enfant a trop de valises pour permettre cet échange à l’école. Ou oublier des affaires pour venir chez elle. Quand une mesure d’accompagnement protégée (MAP) est mise en place par la justice, une majorité des agresseurs renonce à leurs DVH car c’est bien ce contact avec la mère qui leur importait, pas l’enfant. J’invite aussi les femmes à échanger par mail plutôt que par téléphone. Des mails courts, factuels et sans reproches. Ne pas surenchérir si l’ex-conjoint les provoque. La résidence en alternance permet de multiplier les occasions de contacts qui facilitent le contrôle post-séparation et rendent possibles les violences. Mais un DVH classique peut être tout autant instrumentalisé pour garder le pouvoir sur son ex-conjointe et poser un droit de véto, donc entraver sa liberté.

Si une femme se sent en danger mais que le juge aux affaires familiales n’en tient pas compte, que se passe-t-il ?

Gwénola Sueur : Ces femmes ont peur pour l’enfant et pour elle-même. Le seul moyen de casser l’ »emprise » qui est la conséquence du contrôle coercitif est de n’avoir plus aucun contact avec l’agresseur. Si la femme s’estime en danger ou juge à un instant T que l’enfant n’est pas en sécurité elles n’ont pas d’autres choix que de ne pas présenter l’enfant à l’autre parent. Elles risquent alors des poursuites au tribunal correctionnel et de la prison ferme si leurs plaintes sont classées sans suite pour infraction insuffisamment caractérisée et si elles n’ont pas pu prouver le danger, a postériori. J’ai eu ainsi une situation  où un homme à sa sortie de prison a obtenu malgré tout un DVH classique et l’exercice conjoint de l’autorité parentale. Subissant de la violence conjugale par procuration son ex-conjointe a refusé de remettre les enfants au père. Elle a été poursuivi au tribunal correctionnel. Les travailleurs sociaux ont blâmé la mère lui reprochant son angoisse et estimé que le père malgré son aspect effrayant était un bon père. Après la séparation elle a refusé de nettoyer de fond en comble son logement comme son agresseur le lui ordonnait pendant la vie de couple, les travailleurs sociaux l’ont jugée « mauvaise ménagère ».

Dans le film, l’avocate du père convainc la juge qu’être un mari imparfait ne signifie pas être un mauvais père. En pratique, les maris violents s’avèrent-ils être des pères violents ?

Gwénola Sueur : Il y a un continuum des violences patriarcales. Des études démontrent qu’un mari violent sera violent avec ses enfants. L’un des principaux facteurs de risque d’agressions sexuelles de la part du père est la violence conjugale contre la mère. Dans le rapport du Centre Hubertine Auclert sur les enfants co-victimes les experts sollicités dont le magistrat Edouard Durand propose d’appliquer un principe de précaution,.considérer qu’un homme violent avec sa femme sera violent avec l’enfant et utilisera l’exercice conjoint de l’autorité parentale, non dans l’intérêt de l’enfant, mais comme un instrument de pouvoir et de domination. La parentalité des hommes violents est dénuée d’empathie, ils font preuve d’un style parental autoritaire et coercitif comme ils peuvent se montrer peu impliqués et négligents. La relation à l’enfant leur permet d’inverser la culpabilité, se poser en victime et dénigrer la mère. Une AEMO (aide éducative en milieu ouvert) peut les calmer à condition qu’ils n’instrumentalisent pas à leur tour les travailleurs sociaux.

Que se passe-t-il si la mère déménage pour fuir le père ?

Gwénola Sueur : Elle peut perdre la garde de l’enfant notamment si le juge considère au vue des pièces que ce déménagement est un éloignement géographique volontaire et vise à entraver la relation entre le père et l’enfant. Depuis 2002 la jurisprudence a évoluée, sous la pression du lobby des pères divorcés et séparés. Aujourd’hui une femme peut être sanctionnée au civil par un transfert de garde à l’autre parent pour un déménagement à …16km ! En cas de résidence alternée les sanctions tombent plus facilement, nous avons ainsi des jugements où le JAF met la mère face à un choix : soit elle renonce au déménagement donc à aller et venir en toute liberté sur le territoire français et elle/il maintiendra la résidence alternée, soit elle confirme vouloir quitter la région, même s’il s’agit d’une nécessité économique, alors la/le JAF transfèrera la résidence au père. Ces femmes connaissent le risque de transfert de garde de l’enfant, mais le déménagement est la seule solution pour mettre une distance nécessaire à leur reconstruction et ne pas être détruites psychologiquement par la proximité avec leur agresseur, cette décision devient  «  un choix de Sophie ».

Les violences conjugales les plus graves, dont le meurtre, sont essentiellement commises à la séparation ou dans les 6 mois qui suivent. Pourquoi ?

Gwénola Sueur : La période post-séparation est une période particulièrement dangereuse dans la mesure où les agresseurs tentent par tous les moyens de maintenir contrôle et pouvoir sur leur ex-conjointe. Ils estiment que la femme et les enfants leur appartiennent et voient la séparation comme une trahison et un attentat à leurs droits qui justifient vengeance et punition allant jusqu’au meurtre des femmes et des enfants. Ce sentiment d’appropriation du corps des femmes et leur production est renforcé par l’occultation et la minimisation des violences masculines par les groupes de pères séparés, les médias qui parlent de « crime passionnel », l’image de la femme, le « victim-blaming » qui est véhiculé. Les mères séparées courent pourtant un risque cinq fois plus élevé d’être tuées que les autres femmes. Une étude anglaise a montré que pour 82 % des homicides conjugaux de 2014 les actes non physiques de contrôle et de coercition n’avaient pas été pris au sérieux.

Un chercheur américain Evan Stark propose d’analyser la violence conjugale à l’aide du modèle du contrôle coercitif plutôt que celle centrée sur les actes de violence. A savoir repérer les diverses tactiques utilisées par les agresseurs pour contrôler leur conjointe ou ex-compagne, la priver de liberté et la dépouiller de son estime d’elle-même.

Ces tactiques peuvent inclure l’isolement, la manipulation, le dénigrement, l’intimidation, les privations ainsi que les critiques et la surveillance constante. « Examinées de manière isolée, ces tactiques ne constituent pas des actes de violence mais l’accumulation de celles-ci permet aux agresseurs d’augmenter graduellement l’emprise ». Le point commun des hommes qui harcèleront les femmes après la séparation est qu’ils étaient très contrôlants dans le couple. Ils ont isolé leur conjointe de leur famille et de leurs ami.e.s, l’ont empêchée ou dissuadée de travailler ou de reprendre des études. Ils lui ont imposé des règles de vie afin de garantir leurs privilèges masculins avec un contrôle du temps, de l’argent et de la sexualité. Mais comme ce mode de vie est conforme aux stéréotypes de genre de notre société, la femme étant cantonnée dans la sphère domestique, personne ne décèle les tactiques d’isolement et de contrôle et ne voit les barreaux de la cage.

Après la séparation les agresseurs bénéficient de la complicité institutionnelle perméable à la rhétorique masculiniste autour d’une discrimination des pères. Cette complicité permet de contrôler et d’entraver la liberté des femmes au nom de l’égalité parentale. Des mères sont alors véritablement prises au piège.

Contrôle coercitif, Mères en lutte, Violences post-séparation

Focus sur les violences post-séparation par Gwénola Sueur

Nous publions ici une note de synthèse rédigée le 6 novembre 2017 avec l’autorisation de l’auteure.

Enseignante de formation, titulaire d’un Master d’Histoire, Gwénola Sueur intègre comme bénévole des associations de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants (dont SOS les Mamans de 2012 à avril 2018). L’écoute des survivantes de violence ainsi que des formations qualifiantes en France et à l’international lui permettent d’acquérir une expertise du continuum des violences, du contrôle coercitif et des violences post-séparation. Elle intervient à la demande sur ces thématiques et participe à des travaux collectifs. Elle est en parallèle membre active du Comité Manche Droits des Femmes en Normandie depuis 2014. Elle a co-fondé en 2014  un collectif féministe avec le sociologue Pierre-Guillaume Prigent, rebaptisé Réseau International des Mères en Lutte  en 2018. 

Focus sur les violences post-séparation

Les violences conjugales post-séparation sont de la même nature que les violences conjugales, telles que conceptualisées par Pence et Paymar [et Stark]. Il s’agit d’un ensemble de comportements caractérisé par la volonté de domination et de contrôle d’un partenaire sur l’autre, qui peuvent inclure brutalités physiques et sexuelles, abus psychologiques, menaces, contrôles, grande jalousie, isolement de la femme ainsi que l’utilisation des enfants à ces fins. Les motivations à ces violences peuvent être regroupées en trois catégories : les représailles et la vengeance, le rétablissement de la situation de pouvoir et de contrôle, la tentative de forcer une réconciliation qui permet le rétablissement du contrôle (Romito, 2011).

Les violences conjugales post-séparation affectent un nombre important de femmes et d’enfants et la séparation représente un risque accru de dangerosité. En effet plusieurs études révèlent des taux élevés de violences. Ainsi d’après l’enquête nationale française Enveff (Jaspard et al., 2003) parmi les femmes ayant eu par le passé au moins une relation de couple et qui ont été en contact avec leur ex-conjoint au cours des douze derniers mois, 16,7 % ont subi des violences physiques ou sexuelles de sa part. Dans le sous-groupe de femmes qui avaient eu des enfants avec cet ex-conjoint, neuf sur dix avaient subi des agressions verbales (insultes et menaces) ou physiques. Selon les données nationales canadiennes (Hotton, 2001) parmi les femmes qui, dans les cinq ans précédant la recherche, avaient été en contact avec un ex-conjoint, 39 % avaient été agressées par lui. Il s’agissait souvent de violences graves : un tiers des femmes agressées avait risqué d’être étranglé ; plus d’un tiers avait subi des viols ou des tentatives de viol. En outre, dans la moitié des cas, ces violences avaient eu lieu très fréquemment (plus de 10 fois) ; dans plus de la moitié des cas, les femmes avaient subi des blessures et avaient eu peur d’être tuées. Les abus psychologiques (insultes, comportements de contrôle, destruction d’objets et agressions ou menaces à des proches) touchaient presque toutes ces femmes. Quand les femmes avaient des enfants ces derniers avaient assisté aux violences dans plus de deux tiers des cas (72,4 %), souvent à l’occasion de violences si graves que leur mère avait craint d’être tuée.

D’autre part les données nationales canadiennes montrent que pour 61 % des violences post-séparation il s’agit de la continuation (37 %) ou de l’aggravation (24 %) des violences précédentes ; dans 39 % des cas, ces violences ont commencé après la séparation. Les données nationales britanniques (Walby et Allen, 2004) font voir que pour les femmes qui ont subi des violences conjugales pendant la vie commune : pour 37 % d’entre elles, la violence continue après la séparation et, pour quelques-unes, les violences les plus graves sont arrivées précisément après la séparation. Après une analyse de ces recherches, Brownridge (2006) qui a travaillé sur la violence post-séparation au Canada conclut que, comparée à une femme mariée, une femme séparée a une probabilité de subir des violences conjugales 30 fois plus élevée et une femme divorcée 9 fois plus élevée. L’étude italienne l’Istat montre que 51 % des femmes séparées continuent à subir des violences ; les violences subies par les femmes séparées sont plus graves, 2/3 des femmes tuées, le sont pendant ou après la séparation (Istat, 2015).

Les violences post-séparation peuvent se manifester par le recours aux agressions physiques et sexuelles, et c’est durant cette période qu’un nombre significatif de femmes et d’enfants sont tués chaque année (Campbell et al., 2003). D’autres stratégies peuvent être déployées après la séparation incluant la manipulation, le dénigrement, les critiques et la surveillance constante (Stark, 2014). Les contacts avec l’agresseur qui ont lieu dans le cadre de l’exercice conjoint de l’autorité parentale et la passation des enfants dans le cadre de la résidence partagée et des droits de visite et d’hébergement peuvent constituer des moments de reproduction des violences (Prigent, 2014). Les enfants sont utilisés par l’agresseur pour maintenir le contrôle sur l’ex-conjointe (Stark, 2002 ; Lapierre, 2007 ; Rinfret-Raynor et al., 2008 ; Sueur, 2015). La résidence alternée est utilisée dans la stratégie de l’agresseur pour assigner à résidence et isoler la victime, la dénigrer, la harceler, la terroriser, l’appauvrir économiquement (Sueur, 2014). Les hommes violents peuvent aussi exercer leur pouvoir à travers le contrôle des ressources matérielles et financières ou à travers les procédures socio-judiciaires pour poursuivre le harcèlement, les représailles et les intimidations (Slote et al., 2005 ; Przekop, 2011 ; Miller et Smolter, 2011 ; Elisabeth, 2017).

De nombreuses études révèlent des lacunes dans l’identification de la violence conjugale en contexte post-séparation par le système socio-judiciaire ce qui favorise le maintien du contrôle par l’agresseur (Lapierre et Côté I., 2011 ; Lapierre et Fédération des maisons d’hébergements pour femmes, 2013 ; DeKeseredy, Dragiewicz et Schwartz, 2017). La violence conjugale est assimilée à un « conflit parental » : classique minimisation et occultation des violences domestiques et des dynamiques de contrôle et de domination (Romito, 2006). Inversant la culpabilité les intervenants socio-judiciaires vont jusqu’à blâmer les mères et déresponsabiliser les auteurs des violences (Strega et al., 2013 ; Durand, 2013 ; Romano et Izard, 2016). Des mesures de garde partagées peuvent alors être imposées après des violences conjugales et même si les enfants expriment des craintes envers le père (Côté D., 2012 ; Sueur, 2015 ; Lapierre, 2017). La résistance des mères au contrôle coercitif post-séparation est mal interprétée, elles peuvent ainsi être perçues comme « hostiles » alors qu’elles ont des raisons légitimes de s’opposer aux mesures de garde partagée, aux droits de visite, à la médiation familiale (Kaspiew, 2005 ; Radford et Hester, 2006 ; Lapierre et Côté I., 2016 ; Casas Vila, 2009, 2016 ; Feresin et al, 2017).

Quand l’enfant est victime directe de maltraitances après la séparation, la co-parentalité entrave sa protection puisque le discours patriarcal du « maintien » du lien entre l’enfant et l’auteur des violences conduit à minimiser, voire nier ces situations (Prigent et Sueur, 2017). La révélation de maltraitances paternelles sur l’enfant après la séparation est préjugée manipulatoire voire mensongère. Pourtant statistiquement entre 40 et 60 % des maris violents sont aussi des pères violents (Edleson, 1999 ; Unicef, 2003). L’un des principaux facteurs de risque d’agressions sexuelles de la part du père est la violence conjugale contre la mère (Fleming, Mullen et Bammer, 1997 ; Humphreys, Houghton et Ellis, 2008). Dans une étude italienne sur un échantillon de 773 adolescentes et adolescents, quand le père inflige des violences physiques à la mère, dans 44 % des cas il est aussi physiquement violent envers les enfants et, dans 62 % des cas, il est psychologiquement violent : il insulte, dénigre et menace (Paci, Beltramini et Romito, 2010).

En France les classements sans suite des procédures pénales pour infraction insuffisamment caractérisée, qui ne signifient pas une absence d’infraction, conjugués à des non-présentations d’enfant, entraînent au civil des transferts de résidence de l’enfant à l’agresseur, représailles demandées par le lobby masculiniste (Prigent et Sueur, 2017). Des théories sans fondement scientifique, comme les fausses accusations et le syndrome d’aliénation parentale permettent aussi l’occultation des violences et ces transferts de garde (Romito, 2011 ; Laing , 2017 ; Lapierre et Côté, 2016 ; Meier, 2017 ; Prigent et Sueur, 2017). En Angleterre les professeures Marianne Hester et Lorraine Radford ont illustré en 2006 cette stigmatisation et discrimination des mères par « La vie sur les trois planètes », des planètes avec des histoires et des logiques différentes et qui ne communiquent pas entre elles. Sur la planète A la violence conjugale est considérée comme un crime sexué et la police peut intervenir, tandis que sur la planète B qui correspond aux services de protection de l’enfance on parle de familles abusives plus que de violence conjugale et c’est à la mère de protéger l’enfant. Sur la planète C quand la mère se sépare la violence de l’homme est ignorée par les services chargés d’assurer les contacts et la femme doit consentir aux visites (Hester et Radford, 2006 ; Hester, 2017).

Nous n’avons pas de données en France sur les transferts de garde aux hommes violents. Nous savons que dans les cas de désaccord, le juge fixe deux fois plus de résidence chez le père que dans les cas d’accord (Rapport du Ministère de la Justice sur la résidence des enfants de parents séparés, 2013, p. 27). En 2016 17,4 % de mères contactaient l’association Sos les Mamans pour des résidences alternées imposées après des violences, 21 % demandaient de l’aide pour une perte de garde suite à une accusation d’éloignement géographique volontaire ( le contrôle coercitif n’ayant pas été décelé par les intervenants socio-judiciaires), 11 % cherchaient à protéger le(les) enfant(s) des maltraitances paternelles (source : échantillon de 400 mails reçus entre le 1er janvier et le 31 décembre 2016 au contact@soslesmamans.com). Entre 600 et 1300 mères séparées ou divorcées contactent ainsi l’association chaque année. Dès le premier mail les mères évoquent ou  j’ai codifié selon le récit 75 % de situations de violences . Sont comptabilisées également les violences institutionnelles. D’après un échantillon de 30 mères séparées (entretiens semi-directif que j’ai réalisé) la violence envers la mère et/ou l ‘(les) enfant(s) monte à 85 % ( j’ai utilisé le modèle de la stratégie de l’agresseur pour repérer et m’aider à codifier les violences; je me sers du modèle du contrôle coercitif depuis).  Un questionnaire réalisé par Sos les Mamans a été mis en ligne du 25 novembre 2015 au 15 janvier 2016, 140 femmes ont répondu. La base de données travaillé par un sociologue a souligné une discrimination à l’égard des victimes de violences conjugales. Ainsi les mères qui n’ont pas subi de violences conjugales sont 7,5 % à ne pas avoir la garde, alors que celles qui ont subi des violences sont 15 % à ne pas avoir la garde des enfants. Parmi les mères qui n’ont pas subi de violences conjugales, elles sont 12,5 % à avoir été accusées d’aliénation parentale en dénonçant des maltraitances, alors que celles qui ont subi des violences sont 32 % à avoir été accusées d’aliénation parentale.

Les violences conjugales post-séparation sont massives, l’étude générale de Virage sera-t-elle susceptible de nous apporter de nouvelles données en 2018 ? Elles restent peu visibles et mal comprises par méconnaissance du contrôle coercitif et de la stratégie de l’agresseur d’où les conséquences parfois létales pour les personnes concernées (homicides conjugaux par conjoint et ex-compagnon, filicides paternels). Elles souffrent de mythes importés par le lobby masculiniste qui en renforce la négation. Le soutien et la gestion humaine des mères séparées nécessite pourtant une connaissance des mécanismes d’emprise et une analyse précise du continuum des violences envers la mère et l’enfant afin de les mettre à l’abri.

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Gwénola Sueur, 6 novembre 2017

[Maj 2022]

Cette note et les statistiques furent insérées dans le Rapport des 11 associations spécialisées. (2018). Évaluation de la mise en œuvre en France de la Convention d’Instanbul de lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. France – Patrizia Romito a mis à jour son article de 2011 et a complété sa définition des violences par une référence à Evan Stark.

Romito Patrizia et Feresin Mariachiara (2020). Les violences conjugales post-séparation : le parcours du combattant des femmes et des enfants. Revue l’Observatoire, 2019(101), 14-20.

 

Lobby des pères, Mères en lutte, Résidence alternée, Violence économique

Les « putes à CAF » vous saluent

Le 9 juin dernier, le Haut Conseil à la Famille a organisé un colloque sur Les ruptures familiales : affaire publique, affaire privée ? Cette journée de réflexion fut ouverte par Madame Christiane Taubira,  Ministre de la Justice qui brossa le tableau actuel de la situation des séparations. Elle a notamment insisté sur les réformes du droit de la famille au fil du temps. Puis Bertrand Fragonard, président du Haut Conseil à la Famille, exposa le déroulé de la journée, pensée en 4 temps : une session introductive, puis 3 tables rondes. Après cette journée très riche, une synthèse de conclusion fut effectuée par Monsieur Bertrand Fragonard. Ensuite Madame Laurence Rossignol, Secrétaire d État chargée de la Famille, clôtura la journée.  Par la présence de nombreux intervenants, comme Anne Revillard, des nuances furent apportées à cet intéressant débat.

Le but de ce colloque était de présenter une étude et un nouvel outil, à savoir un logiciel : OpenFisca.  L’étude de France Stratégie ne repose sur aucune enquête empirique et recueil de données réelles. À partir de situations fictives, elle propose une simple simulation fiscale.

La blogosphère masculiniste a immédiatement rebondit, présentant les femmes comme vénales voire voleuses d’enfants, ce qui apparaissait déjà dans l’excellent documentaire :  Quand les pères se vengent : In Nomine Patris, ce que veulent les associations de pères. La chaîne de télévision ARTE, ainsi que les réalisateurs et reporters Myriam Toneletto, Marc Hansmann, Marian Hubert avaient d’ailleurs été assignés en justice, en vain, par l’association SOS Papa à la suite de l’émission en 2005.

Suite à ce colloque et à la présentation de l’étude des articles furent publiés et les masculinistes s’en saisir.

Lors des tables rondes du 9 juin, il fut impossible pour les rares représentantes des associations de mères séparées d’évoquer la problématique des violences. En effet une femme, représentant une association féministe affiliée au Collectif National Droits des Femmes, a voulut souligner que les impayées de pensions alimentaires étaient une violence faite aux femmes et aux enfants. Néanmoins quand elle a pris le micro pour s’exprimer,  souhaitant aborder ces violences, il lui fut ôté des mains : elle était « hors sujet ».  L’abandon de famille est pourtant une violence économique post-séparation.  Cette problématique des violences conjugales avait par ailleurs déjà été évacuée des groupes de travail sur la coparentalité (page 20 du rapport) à la demande de SOS Papa et de SVP Papa en 2013.

Il est à souligner que les représentants des associations de pères étaient surreprésentés  lors des tables rondes. Les mères séparées, paupérisées après la séparation, ne peuvent accéder aussi facilement à ce type de colloque. En effet se déplacer en France pour s’y exprimer reste un coût économique non négligeable. Des représentants des associations de pères en ont alors profité pour y développer des arguments fallacieux, une fois de plus, sur une hypothétique vénalité des mères séparées et divorcées.

Yann Vasseur, président de SVP Papa, fit une comparaison surprenante entre le taux des divorces et les prestations familiales . Il s’exprime ainsi sur sa page Facebook :

L’association SVP Papa invitée au colloque du Haut Conseil à la Famille, sur le thème « les ruptures familiales, affaire publique, affaire privée? »
http://www.strategie.gouv.fr/evenements/colloque-ruptures-familiales-affaire-publique-affaire-privee

Nous avons été entendu dans le cadre du rapport Fragonard. Nous avons donné notre avis sur la marchandisation de la femme et surtout de l’enfant, dans le cadre des séparations et divorces.
En plus d’être un business pour les avocats et les JAF, la CAF est un élément perturbateur qui provoque des litiges entre conjoints séparés, puisqu’elle exige d’aller en justice pour verser certaines prestations sociales. Prestations sociales qui, si on les compare avec les chiffres des divorces et mariages, laissent entrevoir une curieuse coïncidence : plus il y a d’alloc, plus il y a de divorces. Alors que, contrairement à la rumeur, une mère, seule avec son enfant connait davantage de précarité que si elle vivait avec le père de ces enfants. C’est ce qu’entre autre, démontre le rapport Fragonard.
Nous dénonçons également un paradoxe social. Les femmes qui réclament des prestations compensatoires (en dehors d’une participation professionnelle, durant la vie de couple). C’est le parfait inverse de l’indépendance de la femme : être un individu indépendant, ce n’est pas toucher de l’argent d’un homme avec lequel on ne vit plus, sous prétexte de s’être faite tripotée pendant x année.
Nous dénonçons aussi les mères malveillantes qui empêchent tout contact entre père et enfant, mais n’oublient pas de réclamer la rançon alimentaire. Ce sont ces femmes qui devraient payer des amendes. Seuls les pères qui refusent ou ne peuvent s’occuper des enfants devraient verser une pension. Trop de juges ordonnent que s’occuper de l’enfant, c’est donner du pognon à la mère et ne voir l’enfant qu’un week-end sur deux.
Nous dénonçons aussi les forces de l’ordre qui n’interviennent systématiquement PAS dans 84% des cas, lors des non représentations d’enfant. Curieusement, si les forces de l’ordre parviennent à maîtriser de dangereux criminels, ils ne parviennent jamais à intimider suffisamment une ménagère sur son pas-de-porte, pour faire respecter les jugements, pourtant exécutoires.
Nous dénonçons également une polyandrie institutionnalisée. En effet, une femme peut vivre aux frais de plusieurs hommes, de manière officielle et déclarée. Une femme peut avoir des enfants de plusieurs pères différents et toucher autant de rançons alimentaires provenant de toutes ces différentes bourses. Cette même femme peut également percevoir plusieurs prestations compensatoires de plusieurs ex-maris. Ceci de manière déclarée fiscalement et administrativement.
Notons que l’interdiction de la polygamie a été renforcée en 1993, concernant des étrangers en situation de polygamie… Amusant !
Plus généralement, nous dénonçons donc la marchandisation de l’être humain et surtout la location des enfants par leur mère, grâce au soutien prononcé des JAF et le mécénat bienveillant de la CAF.
SVP Papa.

Un conciliateur familial, lors d’une table ronde l’après-midi, a présenté son entreprise sans omettre de souligner qu’il avait lui-même été condamné à de la prison ferme pour abandon de famille. Il ne fallait donc pas aborder les violences conjugales lors de ce colloque mais écouter les arguments d’hommes condamnés pour violences économiques. Un autre père séparé a évoqué « l’impôt zizi », à savoir la prestation compensatoire. Le champ lexical pose question.

Il s’avère aujourd’hui que l’étude était biaisée, comme le souligne le Collectif Onze dans une tribune publiée dans le journal Le Monde le 25 juin, et que l’impôt à la source aggrave la surimposition des femmes, ce qu’ indique Christiane Marty dans une tribune publiée dans Libération le 24 juin. Stephanie Lamy du Collectif Abandon de Famille a également publié un contradictoire [lien corrigé le 29.06.2015].

Rajouts du 25.06.2015 : Xavier Molénat a également écrit un article dans AlterEcoPlus au sujet de cette étude. L’association Zéro Macho a publié un communiqué de presse.

Rajouts du 29.06.2015 : Communiqué de Presse unitaire : France stratégie efface la pauvreté des mères seules avec enfants ainsi qu’un article d’Arnaud Bihel dans Les Nouvelles NEWS

L’association SOS les MAMANS s’était également insurgée dans un communiqué de presse le 23 juin 2015 de cette partialité et reprenait alors les chiffres de la réelle précarité des mères séparées  :

#INDIGNEES : le hashtag des mères en colère …

Quand le gouvernement se penche sur la « fraude » des mères !

Et en effet, il y a de quoi s’insurger. Les femmes représentent 51 % de la population, mais 53 % de la population pauvre. Les femmes représentent près de 80 % des emplois à temps partiel, 61 % des salariés peu qualifiés et 78 % des salariés non qualifiés. 30 % des emplois occupés par les femmes sont des emplois peu qualifiés. Le taux de pauvreté des familles monoparentales est de 32,4 % contre 10,8 % pour les couples.

La monoparentalité concerne des femmes seules avec enfant dans 85 % des cas. 40 % des pensions alimentaires ne sont pas payées. Nous vous invitons pour en savoir plus à consulter le document L’égalité parentale, oui ! mais laquelle ? les associations de pères décryptées, une analyse du Collectif Droits Des Femmes 80.

Une résidence alternée imposée reste un frein à la recherche d’emploi alors qu’elle est présentée comme une libération pour les femmes dans un effet de retournement par le lobby masculiniste.  La majorité des femmes suivent souvent leur compagnon dans la région de celui-ci. Leur imposer une résidence alternée les isole alors de leur famille, de leurs amis.  Les femmes dont l'(les) enfant(s) est (sont) en résidence en alternance ne peuvent prétendre à un emploi si elles sont assignées à résidence par un jugement. Par exemple, elles ne peuvent bénéficier de l’aide à la mobilité géographique auprès de Pôle emploi, ce qui peut être considérer comme une discrimination à la recherche d’emploi. Elles doivent d’ailleurs , lors de l’inscription à Pôle emploi, présenter leur jugement pour justifier des recherches dans un secteur limité au risque d’être radiées. Elles ne peuvent accepter une promotion professionnelle aussi facilement qu’une autre femme car le jugement les invite à rester dans un rayon de 20/30 km autour de l’école de l’enfant. Une  mutation professionnelle peut avoir pour conséquence un transfert de résidence de l’enfant à celui qui reste (voir cet article pour un exemple concret). En cas de prime pour l’emploi celle-ci est automatiquement partagée en deux même si l’autre parent n’en bénéficie pas.

Alors pour qui roule cette étude de France Stratégie ? A la suite de ce colloque des screens ont tourné résumant la profondeur de la pensée masculiniste. L’argent semble être « le nerf de la guerre » et il faut empêcher les femmes de partir :

putes-a-caf

plumer-prince-charmant

Le 24 juin, France Stratégie a présenté l’étude. Cette rencontre s’adressait à la société civile concernée par ces travaux. Étaient donc invitées les principales associations représentant les parents séparés (mères et pères), les associations familiales et les principales associations de professionnels (avocats, médiation familiale). Or, aucune organisation féministe n’y fut conviée de prime abord. L’association SOS les MAMANS  face au « rouleau compresseur masculiniste » aurait immédiatement été mise en accusation pour la déstabiliser. Des nuances auraient néanmoins été apportées lors des échanges par des statisticiennes de l’INSEE.

Les bénévoles qui défendent les droits des femmes  savent que la stratégie de groupe des agresseurs vise à les effrayer, à les faire taire, afin de ne pouvoir aider d’autres femmes. Et même seule comme cette féministe le 9 juin, elles auront parfois en tête lorsqu’elle porteront le contradictoire l’écrivaine américaine Andrea Dworkin :

Le féminisme existe pour qu’aucune femme n’ait jamais à faire face à son oppresseur dans le vide, seule.

Manderley & Alex Vigne

Inceste, Viol

Compte-rendu d’une intervention de Dorothée Dussy sur l’inceste

Nous publions ce compte-rendu d’une intervention de Dorothée Dussy, anthropologue travaillant notamment sur l’inceste, ayant eu lieu à Brest (à l’Université de Bretagne Occidentale) le 20 novembre 2014. Mise à jour le 20 avril 2021. Compte-rendu réalisé par Pierre-Guillaume Prigent.

Pour la terre entière, sauf pour le petit monde des anthropologues, l’inceste est un abus sexuel commis sur un-e enfant dans une famille. Ce petit monde des anthropologues parle habituellement de l’interdit de l’inceste : il désigne des règles matrimoniales, des systèmes de parenté, des alliances qui sont interdites. Il s’intéresse aux règles et aux normes, pas à la pratique. Pour Claude Lévi-Strauss, l’interdit de l’inceste signerait le passage de la nature à  la culture, serait la pierre angulaire de l’humanité.

Pour travailler sur l’inceste, dans la vraie vie, quand il arrive, et pas simplement sur des règles de parenté, il faut donc imaginer un autre terrain que les autres anthropologues qui travaillent sur l’interdit de l’inceste. Quand on travaille l’inceste dans sa dimension empirique, cela nécessite de l’observation, des entretiens, etc… Or, il est difficile de rencontrer des gens qui se disent incesteurs. Il y a des clubs de foot, pas des « clubs d’incesteurs ».

Donc, Dorothée Dussy va interroger ceux qui se sont fait prendre et qui ont été condamnés. Pas pour inceste, car il n’est pas présent dans le code pénal (mise à jour du 5 janvier 2021 : il l’est depuis 2018) ; mais pour viol sur mineur-e avec circonstances aggravantes. Dorothée Dussy a peu enquêté auprès des enfants, et on croise peu dans la vie courante des enfants dont on sait qu’illes vivent des abus sexuels dans leur famille. De plus, la première réaction face à un-e enfant incesté-e ne serait pas de mener un entretien. Il est cependant possible de mener un travail auprès d’adultes qui ont vécu des situations d’inceste. On peut en rencontrer dans des associations d’entraide aux victimes d’inceste. Pour ce premier volume d’une trilogie, elle a travaillé pendant plusieurs années dans de telles associations, en France et à Montréal pendant deux ans. En Amérique du Nord, et notamment au Canada, la question des abus sexuels sur les enfants est prise en considération depuis longtemps. Des départements dans les Universités sont consacrés à essayer de travailler sur ces questions et de les documenter.

L’auteure du « berceau des dominations » a suivi des procès. La moitié des affaires jugées aux assises en France sont des affaires d’abus sexuels sur mineur-e-s. Elle a aussi travaillé en prison, où elle a mené une longue enquête par entretien auprès d’hommes de tous âges qui avaient été condamnés pour avoir violé un-e enfant de leur famille. A cette époque, il n’y avait pas de femmes en France condamnées pour agression sexuelle autrement que comme complices. Elle a aussi effectué une veille de la presse, du bouche à oreille… Cela fait dix ans qu’elle travaille sur ce sujet. Quand on dit qu’on travaille sur l’inceste, ça donne une arène pour la parole.

Un autre angle était d’écouter des ami-e-s, des ami-e-s d’ami-e-s, qui profitaient de ce moment pour déposer une histoire qui leur était arrivée ou qui était arrivée à quelqu’un-e de proche. Voici comment est né « le berceau des dominations », consacré au dispositif mis en place par l’incesteur qui inceste un ou plusieurs enfants de sa famille. Il fallait repenser l’articulation entre ce qui arrive dans la vraie vie, des viols dans les familles, et cette règle fondamentale de l’interdit de l’inceste. A la faveur de la banalité des abus sexuels, Dorothée Dussy a montré que l’inceste est structurant de l’ordre social. « Il apparaît comme l’outil primal de formation à l’exploitation et à la domination de genre et de classe. » C’est-à-dire que dans la famille, dès le berceau, nous sommes tou-te-s socialisé-e-s dans un ordre qui admet l’inceste dans la pratique mais qui l’interdit en théorie. Et ça s’articule très bien ensemble. Tout le monde est imprégné dès tout petit des rapports de domination constitutifs des relations familiales. Ces rapports sont exportés ensuite dans d’autres sphères de la vie quotidienne, sociale. « L’inceste, en tant qu’exercice érotisé de la domination, est un élément clé de la reconduction des rapports de domination et d’exploitation. » Il s’agit de décrire une « pédagogie de l’écrasement érotisé », qui permet à l’inceste, ce mécanisme de domination paroxystique, de se transmettre avec régularité à travers les générations. Cela fonctionne très bien parce que c’est érotisé et parce qu’il y a là-dedans du plaisir, qui est un outil essentiel à cette reconduction.

Qui cela concerne ? On a toujours l’impression que l’on ne sait pas grand chose sur l’inceste. Mais quand on se penche sur cette question, on se rend compte que c’est très bien documenté, par différentes enquêtes, depuis 60 ans, menées dans tout l’occident. Il y a des enquêtes d’incidence (qui tente de comptabiliser les nouveaux cas chaque année), et des enquêtes de prévalence (qui essayent de déterminer dans la population générale ou un type de population son existence). Il y a des protocoles d’enquête très différents. Il y a des enquêtes qui considèrent comme abus sexuel la rencontre occasionnelle avec un exhibitionniste, ainsi, les taux ne sont pas du tout les mêmes. Selon les enquêtes, on passe de 5 % d’enfants incesté-e-s à 60 %. La fourchette est inutilisable… Mais si l’on s’en tient aux agressions avec pénétrations, commises sur un-e mineur-e de moins de quinze ans, on retombe dans des fourchettes entre 5 et 10 % de la population en occident qui aurait été incestée. 85 à 90 % des abus sexuels commis sur un-e enfant le sont par un très proche voire par un parent biologique. Contrairement à ce que l’on croit, l’inceste est transversal à toutes les classes sociales, comme la violence domestique. Ce n’est pas la promiscuité physique qui fait l’érotisation des relations. L’inceste est en général commis par un homme, et les filles sont plus nombreuses à être incestées que les garçons. La victime est 6 à 7 fois sur 10 une fille de dix ans ou moins qui connaît son agresseur. Les enfants ont neuf ans en moyenne au premier viol. La période des viols dure en moyenne cinq ans. En prenant la fourchette basse, 5 %, cela fait trois millions de personnes en France qui ont vécu l’inceste. Dans une classe, sur trente élèves, il y en a au moins un-e ou deux qui sont violé-e-s chez elleux. Tous les enfants de cette classe sont habitué-e-s dès l’école primaire à faire avec cette petite camarade qui se met dans les toilettes et qui demande à ce qu’on lui touche le sexe, qui développe des troubles obsessionnels compulsifs, des déprimes… Des camarades qui sont épuisés, ou menteurs compulsifs parce qu’on leur demande de se taire… Et qu’illes se taisent pour tout, et qu’illes racontent n’importe quoi pour tout. Tout le monde est donc socialisé à faire avec l’inceste. Il y a plus de gens qui vivent l’inceste que de gens qui ont le cancer ou qui sont asthmatiques. Ce ne sont pas des situations extraordinaires.

On a toujours l’impression que c’est invisible. C’est une espèce de redécouverte permanente de cette banalité. Il y a un décalage dans la définition qu’on a du viol. La représentation idéale typique du viol qu’on a, c’est par un méchant inconnu planqué derrière un arbre au fond du bois et qui viole une fille qui fait son jogging et qu’il a jamais vue, sauvagement. C’est une goutte d’eau tout à fait marginale dans l’océan des situations concrètes de viol. Dans l’immense majorité des situations de viols, le violeur et le ou la violé-e sont des gens qui se connaissent déjà. Il n’y a pas de brutalité sauvage comme dans les films, par un inconnu qu’on pourrait facilement haïr et dont on pourrait se méfier. C’est quelqu’un qu’on connaît. Ce décalage fait qu’on intériorise des pratiques qui sont violentes mais qu’on ne décrit pas de cette manière.

Ni les violé-e-s, ni les violeurs ne se disent que c’était un viol. La rhétorique du violeur est bien connue : ils n’ont jamais l’impression d’avoir forcé ou violé qui que ce soit. Derrière ces obstacles à comprendre le viol comme une expérience atroce, il y a l’initiation à la vie sexuelle pour chaque homme et pour chaque femme qui est faite de situations qui ne sont pas toutes heureuses, choisies ou réussies, et qui nous font intérioriser une certaine acceptation de formes de violences, de dégoût, de désenchantement, de mal-être. Nos repères sont flous. Cette imprégnation de tout le monde à subir ou imposer la contrainte sexuelle profite à l’invisibilité de toutes les formes de violence domestique.

Comment marche l’inceste ? Pour qu’il y ait de l’inceste, il faut qu’il y ait un incesteur. C’est un homme lambda. Il peut être un « pervers immature », mais dans l’immense majorité des cas, c’est un homme tout à fait bien inséré socialement, qui a une épouse ou plusieurs successivement, qui a une vie sexuelle, mais qui considère que les enfants autour de lui, comme d’ailleurs les femmes autour de lui, sont à la disposition de ses besoins sexuels. C’est quelqu’un qui s’arrange avec sa conscience. Comment thématiser l’incesteur ? Si on construit une figure de l’incesteur comme un monstre ou une figure de l’altérité, on ne comprend pas comment marche l’inceste. Justement, il ne s’agit pas d’un monstre, il s’agit de tout le monde. Rien ne destine médicalement les gens à devenir incesteurs. Le discours médical déresponsabilise les gens et dépolitise les situations. La focale est mise sur l’individu et son fonctionnement interne plutôt que sur le fonctionnement des relations sociales. Jusqu’à ce que l’incesteur soit en prison et que le juge ordonne une injonction de soin, personne ne le considère comme malade. Il va au travail, au foot, et à deux heures s’il a envie, il impose une fellation à sa gamine, puis retourne travailler. Le discours médical construit une figure différente, un « malade ».

L’incesteur impose aux enfants et à toutes les personnes de son entourage direct une grammaire, un mode de relation. Il impose et instaure un système silence. Les relations sont affectées, il y a de l’affect. Il y a des « gestes sexuels » qui s’installent sur cinq ans en moyenne. Si dans l’idéal type du viol il s’agit d’un « one shot », d’un choc, ici ce n’est pas le cas. L’incesteur impose un dispositif que tout le monde suit dans la famille. Pourquoi cela fonctionne ? Car il n’est pas un violeur, ni un voyou, ni un bandit. C’est un « bon père de famille ». C’est quelqu’un qui respecte la loi, pas moins que son voisin de palier. Il sait que le viol et l’inceste sont interdits, il ne « viole » pas, il « fait des trucs ». Comment les incesteurs nomment les situations d’inceste ? Pour le sens commun, un viol est un acte sexuel avec en général une pénétration vaginale. Donc les incesteurs, pour beaucoup d’entre eux, imposent des fellations, ainsi ce ne sont pas des violeurs. Ils font bien attention de ne pas déflorer leur fille ou leur nièce, ils ont une éthique, ils ont une morale. Ce ne sont pas des violeurs. Ils ont juste eu une petite envie, avec un gamin qui était à disposition. Ce sont des gens qui s’arrangent avec leur morale. Nous faisons tous des arrangements avec nous-mêmes, comme se garer sur une place de parking réservée aux personnes handicapées quand on est soi-même pas handicapé-e. L’incesteur fait la même chose. De là découle des drames, des situations qui « bousillent » la vie des incesté-e-s. Les incesteurs ne sont pas des voyous ni des bandits, ne désignent jamais le viol qu’ils ont commis par le terme de viol. Ils disent « bêtises », parfois « faire l’amour », ou « ça ». Il y a toujours cette idée d’avoir veillé sur le bien-être de l’enfant. Prenons un ingénieur bien sous tout rapport qui avait incesté trois sur quatre de ses filles pendant des années. Il se retenait d’avoir ce qu’il appelle un « rapport sexuel complet » avec l’une d’entre elles. Pour se justifier, il s’est dit qu’il allait la sodomiser : comme ça, il préservait sa virginité. Il y a un hiatus pour la personne qui entend cela, mais pas pour l’incesteur. Il a comme un raisonnement rationnel et raisonnable qui s’appuie sur le fait de ne pas se disqualifier soi-même à ses yeux. L’incesteur ne porte donc pas le stigmate du violeur et quand il a fini d’imposer sa fellation, il n’a pas une mauvaise image de lui-même. Ce n’est pas un voyou.

Quand on parle de l’inceste, notamment pour ce qui est du droit ou de la santé mentale, on circonscrit l’inceste au moment des abus sexuels. Or, l’inceste est tout ce qu’il y a autour aussi. C’est le silence de toute la famille, autour des « gestes sexuels ». C’est la « géographie de l’évitement », pour pas être dans la salle de bain au moment où un grand-frère impose une fellation à son petit-frère. C’est une espèce de travail consciencieux de chacun pour ne jamais voir, et ce activement. Cela crée une situation qui confine à la folie pour les incesté-e-s, qui ont besoin de beaucoup d’énergie et de force pour ne pas sombrer complètement. L’incesteur ne parle jamais des abus sexuels, cela a peu d’importance pour lui. Pour l’incesté-e, ça prend toute la place. Il est seul à savoir que ça existe. Il sait que  le viol est interdit, mais qu’il vit la nuit des « trucs sexuels » imposés par quelqu’un de sa famille. Il vit la contradiction entre ce qui doit être fait et de ce qui arrive en vrai. Il sait que la famille est là pour le protéger. C’est un contenu pédagogique fort pour l’incesté-e qui comprend tout de suite, dès les premiers moments d’agression sexuelle, qu’ille sera totalement seul-e avec ça, et qu’ille ne peut pas se plaindre. Ille l’a intériorisé, donc ille ne se  plaint pas. Ille obéit comme tou-te-s les enfants à son père et à sa mère et obéit à l’injonction du silence.

Si ce sont principalement des hommes qui incestent et des filles qui sont incestées, comment expliquer la reconduction ? Depuis 60 ans, il y a la même proportion dans nos sociétés de gens qui sont incestés. Toutes les situations d’inceste rencontrées montrent que l’inceste survient dans un contexte où il est toujours déjà là dans la famille. La configuration incestueuse se répète à chaque génération : si l’inceste se produit entre frères dans celle-ci, il se sera produit entre le père et l’oncle dans la précédente, etc… Comment est-ce possible ? Dans les travaux en santé mentale, les mères « prennent cher », sont responsables de tout. En réalité, c’est un peu comme les « familles à foot ». On voit son tonton qui joue au foot et on a envie de faire pareil. Les enfants apprennent par mimétisme. Dans les familles où il y a de l’inceste, les enfants sont socialisé-e-s avec le père qui a été lui aussi incesté par l’oncle, et voient une relation qui porte la trace de cela. Le fait que les relations aient été érotisées, sur le mode de quelque chose d’imposé organise la relation et c’est quelque chose que les enfants sentent très bien, dans lequel ils sont socialisés dès qu’ils arrivent dans la famille. Ces enfants incesteront alors leur petit frère, tout cela sera reconduit, notamment grâce au silence.

Grâce aux programmes mis au point au Québec pour essayer d’enrayer les situations familiales incestueuses, on sait que ce qui donne le meilleur résultat sont les dispositifs de parole : faire circuler la parole autour de l’inceste, dans une famille où il y a eu de l’inceste. Les peines de prison sont moins lourdes, mais il y a un énorme travail de mise en mots. Malheureusement, en général, celui qui révèle l’inceste fait exploser un ordre familial. La famille se recompose avec l’incesteur, puis la famille exclut celui qui a révélé l’inceste, en général l’incesté-e, aux motifs que l’incesteur n’est pas vu par ses proches comme un voyou, comme un bandit, comme un délinquant.

Il peut être intéressant de revenir sur l’articulation de la règle de l’interdit de l’inceste et sa pratique, courante et banale. Quelles sont les justifications de la règle ? Favoriser l’exogamie, aller chercher des femmes ailleurs pour élargir le groupe. Ce serait le passage de la nature à la culture. Mais d’autres éléments ont été avancés pour ce passage : la bipédie, l’écriture… C’est celle de Lévi-Strauss et de l’interdit de l’inceste qui a évincé toutes les autres, en dépit des témoignages publiés, des récits, etc… Comment cette  théorie peut continuer de faire recette ? C’est parce que cette théorie subsume l’ordre social qui admet l’inceste dans les faits mais l’interdit en théorie. Interdit qu’on y pense, qu’on y fasse référence… « Ça ne doit pas exister donc ça n’existe pas. » En ce sens, cette théorie dit ce que la plupart des gens veulent entendre pour avoir la paix, le fait de l’énoncer jetant aussitôt un voile sur les pratiques quotidiennes de chacun. Au sens moderne, cette théorie est un avatar de l’ordre social, d’où son succès. De ce point de vue, cette théorie datant de 1947 a constitué une aubaine pour tout le monde : celleux qui sont empêtré-e-s dans la contradiction des pratiques et des règles, c’est-à-dire tout le monde, des « plus ou moins violé-e-s » aux « plus ou moins violeurs ». De « ceux qui tirent plus ou moins de bénéfice à reconduire un dispositif de domination, à ceux dont la subjectivité est écrasée depuis le berceau, et qui cèdent aux désirs des autres par intériorisation de leur écrasement. » La théorie de l’inceste a permis de normaliser l’enfer intérieur de chacun.


Dans la série de questions-réponses faisant suite à l’intervention, des précisions ont été apportées :

  • Il n’y a pas de récidive pour les incesteurs sortants de prison
  • Il n’y a pas de manière spécifiquement féminine d’incester
  • En fin de compte, la pratique de l’inceste sur des individus pré-pubères serait une spécificité humaine
  • On parle de l’éventuelle dépénalisation de l’inceste entre personnes majeures en Allemagne, mais on parle peu du fait qu’il y a un renouveau des groupes pro-pédophiles aux Pays-Bas
  • 80 % des femmes alcoolodépendantes ont vécu de l’inceste
  • 50 % des détenus dans les centres de détention le sont pour infraction sexuelle

Pour en savoir plus sur les travaux de Dorothée Dussy

Un entretien avec l’auteure

Bibliographie

Pour aller plus loin

Lobby des pères, Résidence alternée

Décryptage d’un argumentaire SOS Papa

Dans cet article, nous souhaitons revenir sur des propos que Jean Latizeau, président de l’association de pères séparés SOS Papa, a tenus lors de l’émission Le Mag de l’aprèm du 9 octobre 2014 sur Sud Radio. Nous n’y avons pas trouvé grand chose de nouveau, mais plutôt des éléments typiques de l’argumentation des groupes de pères. Cette émission nous a semblé intéressante à étudier, car elle donne une vue d’ensemble de leur manière de penser.

Revenons préalablement sur les contradictions de Jean Latizeau au fil de ses récentes interventions publiques. Dans l’émission Bourdin Direct sur RMC du 28 janvier 2015, il a modifié ses propos par rapport à l’émission que nous allons analyser ici.

En effet, dans Bourdin Direct, Jean Latizeau remet en cause la fiabilité des études du Ministère de la Justice. Mais dans l’émission de Sud Radio, il la loue… Chez Jean-Jacques Bourdin, il parle de 99 % de cas de Résidence Alternée quand le père et la mère la souhaitent. Chez Sud Radio, il dit par contre qu’elle est toujours accordée. A noter que dans Europe 1 Midi le 6 février 2015, trois jours après son intervention sur RMC, il dira à nouveau que les études du Ministère de la Justice sont fiables mais cette fois-ci, il fournira des chiffres corrects. Selon le Ministère de la Justice, mis à part dans quelques cas, quand le père et la mère souhaitent la Résidence Alternée, elle est alors accordée (pour 1429 enfants sur 1435 concernés par l’étude, p. 19 du rapport du Ministère de la Justice sur la résidence des enfants de parents séparés).

Chez Sud Radio, il revient une fois de plus sur le soi-disant « veto des mères » concernant la résidence alternée. Nous y avons déjà consacré un article.

L’actuel président de SOS Papa déclare ensuite que les décisions des Juges aux Affaires Familiales concernant la résidence des enfants ne sont pas les mêmes en fonction des tribunaux. Il fait reposer cette disparité sur leur incapacité présumée à homogénéiser leurs pratiques. Il prend pour exemple les tribunaux de Lille et de Marseille. Le tableau A3 du rapport cité ci-dessus (pages 51 à 54) représente la répartition des enfants selon la résidence fixée ou homologuée par le juge par siège de Tribunal de Grande Instance, et souligne le pourcentage de Résidences Alternées décidées. Sur 174 enfants sur la période que recouvre l’enquête au tribunal de Lille, 20 résident en RA, 132 chez la mère et 22 chez le père. Sur 161 enfants au tribunal de Marseille, 8 résident en RA, 136 chez la mère et 17 chez le père. Ce qui fait 11,5 % de RA pour Lille, et 5 % pour Marseille. Difficile, dès lors, de prétendre que les décisions n’ont rien à voir selon les différents tribunaux, et en particulier ceux de Lille et de Marseille. Rappelons, de plus, que les disparités qui apparaissent dans ce tableau A3 s’expliquent par le faible effectif de certaines juridictions, comme indiqué dans le rapport. Une récente étude de l’INSEE – dont on peut penser qu’elle est bien plus fiable que les propos du président de SOS Papa – explique :

Cette disparité géographique pourrait tenir pour partie aux différences socio-économiques ainsi qu’aux différences de conditions du marché immobilier entre départements, mais aussi à de possibles pratiques différenciées des tribunaux départementaux.

A noter, un communiqué de SOS Papa Nord Picardie qui montre comment les groupes de pères séparés manipulent les données statistiques. Ici, les différences socio-économiques deviennent « discriminations dont sont victimes parents et enfants de [leur] région »…

Jean Latizeau avance ensuite, une fois de plus, le soi-disant sexisme des Juges aux Affaires Familiales.  Il prétend donc qu’elles sont à 95 % des femmes, dont il dit à peu de choses près que « c’est comme s’il y avait 95 % des représentants du patronat à juger dans les prud’hommes. » Hors, les JAF prennent des décisions homogènes quel que soit leur sexe. Qui plus est, elles ne sont pas à 95 % des femmes, mais plutôt 70 % (voir cet article de Xavier Molénat, déjà cité sur ce blog). Jean Latizeau ajoute qu’il « ne veut  pas du tout pointer du doigt les femmes ». Mais cela ne l’empêche pas d’avoir une conception misogyne des femmes JAF, qui ne prendraient que des décisions favorables aux personnes du même sexe qu’elles.

Jean Latizeau déclare à Sud Radio  que ce sont 100 000 pères qui ont fréquenté les permanences de l’association SOS Papa. Nous en doutons fortement, tout simplement parce que ce chiffre est actuellement donné sur Wikipédia, mais aussi sur la page qui n’est plus mise à jour depuis 2009 de SOS Papa 63… Si ce chiffre n’a pas évolué depuis 2009, cela ne veut selon nous pas dire qu’à l’époque 100 000 pères avaient effectivement fréquenté les permanences de SOS Papa, mais plutôt que l’association ne mesure vraisemblablement pas la fréquentation de ses permanences. Rien ne lui permet donc d’affirmer ce chiffre farfelu. Ne pas savoir en réalité combien de supposés blessés il prend en charge n’empêche pas Jean Latizeau de comparer le travail de SOS Papa à de la « chirurgie de champ de bataille ». Signalons qu’à elle seule, sa comparaison douteuse devrait éveiller le doute sur le reste de ses propos…

Le président de SOS Papa rappelle ensuite les sondages réalisés alors que des pères séparés montaient sur des grues en février 2013. A l’époque, les médias ont tout d’abord repris en boucle les affirmations de ces individus, dont l’une était que les pères sont discriminés par la justice. Il est alors évident que les sondages de l’époque tendaient à approuver ces idées reçues. Que l’association SOS Papa préfère s’appuyer sur un sondage orienté par les circonstances plutôt que sur une enquête sociologique démontre assez nettement leur manque de sérieux. Jean Latizeau s’enfonce lorsqu’il dit que si l’on prend ce sondage, qui a visiblement touché 100 000 personnes, « à l’envers », alors une grosse majorité de femmes pense la même chose. Pourtant, rien ne lui permet de l’induire, d’autant plus si ce sondage a été effectué en ligne et a pu être l’objet de votes ciblés à l’initiative d’associations de pères séparés

Jean Latizeau déclare ensuite que lorsque un père fait une non-représentation d’enfant (article 227-5 du Code pénal), il est systématiquement et lourdement puni : pour la première NRE de prison avec sursis, pour la deuxième de prison ferme. Il prétend également que les mères peuvent, elles, réaliser des NRE en toute impunité. Pourtant, il n’y a aucune étude en France sur les non-représentations d’enfant qui permettrait de déterminer combien les mères et les pères en réalisent, et comment ils et elles sont (différemment ou non) puni-e-s. Concernant la soi-disant impunité dont jouirait les mères, nous rappelons que depuis la fondation de l’association Mères en lutte, la situation n’a pas vraiment changé, et que des mères sont encore aujourd’hui en prison pour avoir tenté de protéger leurs enfants contre un père agresseur. Pour mémoire, voici un extrait du dossier de l’association Mères en lutte :

Mai 1999, une jeune mère lyonnaise est incarcérée à la maison d’arrêt Mont Luc pour non-représentation d’enfant. Par « chance », V. ne séjournera que quinze jours en prison au lieu des douze mois prévus. Accueilli comme exemplaire par la presse et certaines associations, le verdict est aussi lourd que les raisons qui ont conduit V. à se mettre hors la loi : depuis des années elle se bat pour obtenir des mesures de protection pour sa fille aujourd’hui âgée de quatre ans et demi. En dépit du témoignage sans équivoque de sa fille, de nombreux certificats médicaux et des signalements auprès de la justice, elle ne peut actuellement plus protéger son enfant, contrainte de rendre visite à son agresseur.

Le président de SOS Papa évoque ensuite les violences conjugales. Pour lui, la Justice aux Affaires Familiales et les violences conjugales n’ont rien à voir. Rappelons qu’aujourd’hui, en France, des mères se voient imposer des Résidences Alternées pour leurs enfants suite à des viols conjugaux. Et n’oublions pas que c’est sous la pression des groupes de pères séparés que ce thème des violences conjugales a été écarté des réflexions du groupe de travail sur la coparentalité de janvier 2014. Lorsque une auditrice appelle Sud Radio pour rappeler qu’une femme sur 10 est victime de violences conjugales en France, Jean Latizeau s’en saisit pour dire que des « associations féministes » du groupe de travail sur la coparentalité auraient dit que tous les pères seraient pervers et violents. Pour Jean Latizeau, entre un sur dix et dix sur dix, il n’y  a visiblement pas de différence.

Quant au Syndrome d’Aliénation Parentale évoqué par Jean Latizeau, c’est une théorie inventée qui n’a aucun fondement scientifique, et dont on s’étonne encore qu’elle puisse avoir autant d’audience. Au sujet du SAP, on peut lire l’excellent article de Patrizia Romito et Micaela Crisma, ou celui plus succint de Paula Joan Caplan, parmi les nombreuses références critiques disponibles.

Il mentionne ensuite une étude hollandaise « très sérieuse » – sans citer sa source – disant que les fausses allégations de violence sont courantes. L’article de Patrizia Romito et Micaela Crisma précédemment cité déconstruit également ce mythe, en se basant sur deux études qui sont, elles, effectivement sérieuses. Cette négation des violences permet à Jean Latizeau de dire qu’il ne faut pas refuser de Résidence Alternée sous prétexte de conflit entre les parents. Car, c’est bien connu : selon les masculinistes, les mères sont « prêtes à tout » (comme le dit le présentateur), y compris à « inventer » le conflit et la violence, pour obtenir la garde de leurs enfants, et refuser la RA.

La président de SOS Papa déclare ensuite que les Résidences Alternées ne sont pas systématiquement à rotation hebdomadaire, c’est-à-dire quand l’enfant passe une semaine chez un parent, une semaine chez l’autre. C’est une manière pour lui de contredire des professionnel-le-s de l’enfance opposé-e-s à la Résidence Alternée à rotation hebdomadaire, alors nommée « paritaire », pour des raisons de stabilité de l’enfant. Seulement, si en effet les RA ne sont pas systématiquement à rotation hebdomadaire, elles le  sont à 86 % (page 6 du rapport du Ministère de la Justice sur la résidence des enfants de parents séparés)…

Nous sommes une fois de plus bien obligé-e-s de conclure ce décryptage avec cette éternelle question : pourquoi, si les groupes de pères séparés emploient des arguments approximatifs et mensongers, ont-ils autant d’audience ? Pourquoi tant de complaisance pour des individus qui accusent les femmes et les mères, elles, de mentir ?

Mise à jour du 11 février 2015 : Jean Latizeau a commenté un article publié sur le site Forum Famille Dalloz revenant sur deux études récentes sur la Résidence Alternée. Il y écrit : « – d’autre part, les cas où les pères demandent la RA malgré l’opposition de la mère : cela leur est alors refusé dans plus de 75 % des cas (tableau N° 15 page 27 de la statistique. A noter que la situation inverse est 10 fois moins fréquente). » Hors, si l’on regarde le tableau en question, pourtant bien cité par Jean Latizeau, dans les situations où les mères demandent la RA et que le père n’est pas d’accord, la RA est accordée à 40 % et la résidence chez le père à 60 %. Donc il est faux de dire que « la situation inverse est dix fois moins fréquente »… Même lorsque l’on regarde les effectifs que cela représente (il y a moins de situations où la mère demande la RA alors que le père n’est pas d’accord), nous n’arrivons pas à ce chiffre. A moins bien entendu, comme le président de SOS Papa, de prendre les données « avec des arrondis »…

Mise à jour du 16 février 2015 : On a pu entendre une nouvelle fois Jean Latizeau sur France Culture, le 12 février 2015. C’était dans l’émission Esprit de justice qui, malgré son titre ambigu pour l’occasion – Les pères ont-ils encore des droits ? – était intéressante. Pas grand chose de nouveau de la part du président de SOS Papa, si ce n’est qu’il dit cette fois-ci qu’il y a 80 % de refus lorsque les pères demandent la RA « malgré l’opposition de la mère », et non plus 75 %… Il avance de plus qu’un enfant peut-être entendu par le Juge aux Affaires Familiales quel que soit son âge, en omettant de mentionner la notion de capacité de discernement. Comme l’indique le site officiel de l’administration française : « Seul l’enfant capable de discernement est susceptible d’être entendu en justice. Il n’y a pas d’âge minimum pour être entendu. Sa maturité, son degré de compréhension, sa faculté personnelle d’apprécier les situations, sa capacité à exprimer un avis réfléchi, sont des éléments démontrant ce discernement. » Plus d’informations à ce sujet sur le site de Justitia Land, qui précise : « La loi n’a pas fixé d’âge minimum favorisant ainsi une appréciation concrète du degré de maturité (selon l’âge de l’enfant, son développement personnel, le problème posé, l’environnement familial), de compréhension et d’appréciation juste des situations de chaque enfant. Cette condition est souverainement appréciée par les juges. Les pratiques sont donc très variables d’une juridiction à l’autre, voire au sein d’une même juridiction. » La page 35 du rapport du Ministère de la Justice sur la résidence des enfants de parents séparés indique « que les enfants sont plutôt auditionnés à partir de 9 ans. »

Alex Vigne & Manderley

Lobby des pères

Les pères sont-ils discriminés par la justice ?

Comme rappelé dans notre précédent article sur le soi-disant « veto des mères » concernant la résidence alternée, les groupes de pères séparés déclarent (par exemple ici, ou encore dans cette vidéo) que la résidence des enfants est fixée chez la mère dans 80 % des divorces – ce qui, a priori, pourrait laisser penser que la justice discrimine effectivement les pères.

Mais rappelons que toutes situations confondues, la résidence est fixée chez la mère dans 71 % des cas (p. 5 du rapport du Ministère de la Justice sur la résidence des enfants de parents séparés). Le lobby des pères omet de signaler que c’est parce que les parents sont d’accord dans 80 % des cas sur le mode de résidence, et parmi ces situations d’accord, pour que la résidence soit fixée chez la mère dans 71 % des cas (p. 6 du rapport).

De nombreux articles ont déjà été écrit pour casser cet argument – pourtant inlassablement repris – de la discrimination des pères par la justice. En voici trois, dont nous avons choisi pour chacun d’entre eux un extrait significatif :

Gille Devers, avocat | Les papas maltraités par la justice ? C’est du n’importe quoi !

Selon le ministère de la Justice, dans 76,8 % des cas de divorce en 2010, les enfants sont hébergés chez leur mère en résidence principale. Seuls 7,9 % vivent chez leur père et 14,8 % bénéficient d’une résidence alternée.

Oui, et alors ? Ces chiffres ne veulent rien dire, car les 76,8 % des cas sont très majoritairement décidés par consensus des parents.

Nombre de demandes de résidence du père sont non sérieuses, présentées sans autre motif que de mettre la pression.

Aussi, la seule question valable serait de savoir si, lorsque les demandes contraires des parents ont des mérites comparables, les juges donnent outrageusement la faveur à la mère. Or, il est impossible par des statistiques de qualifier ce qui relève de l’appréciation du juge sur des affaires aussi intimes. Aucune étude sérieuse n’a jamais démontré la réalité d’une faveur donnée à la mère dans les cas équilibrés.

 

Michel Huyette, magistrat | Résidence des enfants après une séparation : 93% des pères entendus

Il y examine le rapport du Ministère de la Justice, cité précédemment, et conclut ainsi son analyse :

De quoi tordre le cou à certaines idées toutes faites sur les décisions judiciaires concernant la résidence des enfants après séparation de leurs parents.

 

Xavier Molénat | Garde des enfants : des papas lésés ?

Il est certes vrai que dans près de 80 % des divorces, la résidence de l’enfant est fixée chez la mère, la résidence chez le père ne présentant que 8 % des cas et la résidence alternée, 15 % (chiffres 2003, ministère de la Justice). Mais une enquête récente sur le traitement judiciaire des séparations conjugales, fondée sur l’examen de dossiers et l’observation d’audiences au tribunal, montre que « dans 82 % des affaires impliquant des parents ayant des enfants à charge (…), il n’y a pas de conflit sur la résidence des enfants : soit qu’il n’y ait pas de désaccord du tout (divorces par consentement mutuel), soit que le ou les litiges portent sur d’autres sujets [voir article pour la source] ».

La même enquête montre par ailleurs qu’il n’existe pas de biais « promaternel » chez les magistrats. Ceux qui ont été interrogés récusent les qualificatifs de « promères » ou « propères », et n’éprouvent aucune hostilité de principe à la résidence alternée. Le principe de la coparentalité est constamment réaffirmé, les (rares) demandes d’exercice exclusif de l’autorité étant appréhendées avec méfiance. Un juge rappelle ainsi à une mère traitant son ex-conjoint de « géniteur (…) qui ne mérite pas son fils » que de tels propos risquent de « bousiller » son fils, et lui enjoint de lire des livres de psychologie. Une analyse statistique met enfin en évidence le fait que le sexe du magistrat (70 % des juges aux affaires familiales seraient des femmes) n’a aucune influence significative sur le type de décision rendue, qu’elle concerne la résidence de l’enfant ou le montant des pensions [voir article pour la source].

A noter, l’excellent ouvrage du Collectif Onze Au tribunal des couples. Enquête sur des affaires familiales, dans lequel les sociologues auteur-e-s déclarent (p. 171) :

« On est donc loin ici de l’image, promue notamment par les associations de pères, de juges aux affaires familiales personnellement très favorables à la résidence chez la mère, face à des pères qui seraient quand à eux les promoteurs (constamment déçus) de résidences alternées, ou d’une résidence chez eux. Si les JAF fixent très massivement la résidence des enfants chez la mère, c’est bien parce que les justiciables – femmes et hommes – ont des demandes convergentes en ce sens. »

Alex Vigne & Manderley

Lobby des pères, Résidence alternée

Y a-t-il un « veto des mères » concernant la résidence alternée ?

Ce billet sera le premier d’une série. Elle aura pour but de montrer que les arguments habituellement donnés par les groupes de pères séparés en France sont approximatifs, voire mensongers.

Nous commencerons par examiner l’argument selon lequel il y aurait un « veto des mères » concernant la résidence alternée.

Les groupes de pères séparés reprennent souvent un chiffre tiré de la page 27 d’un rapport du Ministère de la Justice, publié en novembre 2013, sur la résidence des enfants de parents séparés. Ils disent grosso modo (par exemple ici ou encore ) :

Quand la mère est d’accord pour la résidence alternée, elle est accordée à 100 % par le juge. Quand la mère est en désaccord avec cette demande-là et qu’elle est portée par le père seulement, elle est refusée de 70 à 75 %.

Ce chiffre amène certains d’entre eux à parler de « veto des mères », ou de parler de « la volonté de certaines mères de marginaliser le père« .

Si ce chiffre provient effectivement d’une source sûre, il faut ici se méfier de la manière dont il est sorti de son contexte. Pour les groupes de pères séparés, il est censé représenter la discrimination qu’ils subiraient dans les tribunaux aux affaires familiales. Or, et on le sait notamment grâce au rapport dont ils tirent ce chiffre, les pères ne sont pas discriminés par la justice. Nous reviendrons plus en détail, dans un autre article, sur cette affirmation. Signalons pour le moment que pour avancer cet argument, les groupes de pères séparés déclarent (par exemple ici) que la résidence des enfants est fixée chez la mère dans 80 % des divorces  – ce qui, a priori, peut laisser penser que la justice discrimine effectivement les pères.

Mais, tout d’abord, leurs déclarations à ce sujet manquent souvent de précision. Rappelons que toutes situations confondues, la résidence est fixée chez la mère dans 71 % des cas (p. 5 du rapport). Ensuite, ils omettent de signaler que c’est parce que les parents sont d’accord dans 80 % des cas sur le mode de résidence, et parmi ces situations d’accord, pour que la résidence soit fixée chez la mère dans 71 % des cas (p. 6 du rapport).

Revenons maintenant à leur théorie du « veto des mères ». La première chose à noter, c’est qu’ils partent du principe que c’est la mère qui est en accord ou en désaccord pour la résidence alternée. Mais lorsque les parents sont d’accord, on pourrait autant dire du père que de la mère qu’il ou elle est d’accord. On dira que les groupes de pères séparés parlent de leur point de vue. Mais nous y voyons également un élément parmi tant d’autres attestant de leur vision patriarcale des choses : « l’homme propose, la femme dispose ».

Dans le même ordre, on peut légitimement s’étonner de la manière dont ils interprètent le désaccord éventuel des mères concernant la résidence alternée : un « veto », une « volonté de marginalisation ». Derrière leur prétention à l’apaisement des relations pères-mères après la séparation, notamment via leur défense de la médiation familiale sans conditions (nous reviendrons sur cette fausse bonne idée dans un prochain article), il y a cette désignation du doigt des mères comme faisant seule obstacle à la « coparentalité ». De notre point de vue, un désaccord n’est pas à stigmatiser de la sorte, mais devrait être inévitablement pris en considération ; ce qui n’est pas et ne sera pas le cas tant que la loi permettra à un juge d’imposer la résidence alternée contre la volonté de la mère. Les masculinistes disent que les mères ont un droit de veto : il s’agit d’un retournement de la réalité, dans laquelle des résidences alternées sont imposées, parfois même suite à des violences conjugales.  Rappelons à ce titre que dans le rapport  sur les réflexions du groupe de travail sur la coparentalité « Comment assurer le respect de la coparentalité entre parents séparés », est écrit à la page 6 :

SVP PAPA et SOS PAPA ont également affirmé que si les violences sur les enfants doivent être un frein à une résidence alternée, les violences conjugales ne doivent pas l’être.

Jean Latizeau, président de SOS Papa, déclare que « de nombreux pères souhaitent une résidence alternée pour prodiguer pleinement affection et éducation à leurs enfants. » Pourtant, le rapport sur la résidence des enfants de parents séparés, à la page 40, mentionne qu’ils ne sont que 19 % à demander une résidence alternée.

Ces situations décrites par les groupes de pères ne représentent qu’une toute petite partie des affaires jugées concernant la résidence des enfants de parents séparés. A la page 27 du rapport, on voit que dans l’étude, 245 enfants sur 9399 sont concernés, c’est-à-dire moins de 3 % des enfants. On y apprend par ailleurs plus généralement que dans les cas de désaccord, le juge fixe deux fois plus de résidence chez le père que dans les cas d’accord

Ainsi, les groupes de pères séparés insistent sur ces 75 % de cas où des résidences alternées ne sont pas fixées alors que le père la demande. Car pour eux, l’enjeu est bel et bien là : pouvoir imposer la résidence alternée sans conditions. Rappelons que certains groupes de pères revendiquent la mise en place de la résidence alternée prioritaire suite à une séparation… Jean Latizeau dénonce les « caricatures qui sont faites, selon lesquelles nous [SOS Papa] voudrions une résidence alternée imposée ou automatique ». Pourtant, SOS Papa a soutenu un amendement adopté au Sénat, puis retiré en Commission des lois de l’Assemblée Nationale, dans le projet de loi Égalité Femmes – Hommes. Cet amendement disait :

À défaut d’accord, en cas d’autorité parentale conjointe, le juge examine prioritairement, à la demande d’un des parents au moins, la possibilité de fixer l’hébergement de l’enfant de manière égalitaire entre ses parents.

En cas de désaccord entre les parents, le juge entend le parent qui n’est pas favorable au mode de résidence de l’enfant en alternance au domicile de chacun de ses parents, exposant les motifs de son désaccord au regard de l’intérêt de l’enfant. La préférence est donnée à la résidence en alternance paritaire. La décision de rejet de ce mode de résidence doit être dûment exposée et motivée.

S’il n’est pas indiqué que la résidence alternée doit être fixée automatiquement, on comprend bien qu’avec un tel amendement, dès lors que des pères souhaiteraient une résidence alternée, des mères ne la souhaitant pas se la verraient couramment imposée, plus couramment encore que ça n’est le cas aujourd’hui

Soulignons également qu’au vu de certains articles trouvés sur des sites de groupes de pères séparés, on peut se demander quelle pourrait bien être la position de l’association SOS Papa sur la résidence alternée : soutient-elle « sans retenue » La Grue Jaune, qui la souhaite prioritaire, voire « d’office » (voir le 1. de la Proposition n° 2 de leur programme) ? A moins que l’auteur de cette lettre de soutien ne fasse pas partie de l’association ? Ou peut-être que finalement si ? Difficile de savoir.

Alors pourquoi, malgré cette opacité dans le fonctionnement et cette imprécision dans l’argumentation, ces groupes ont-ils autant d’audience ?

Alex Vigne & Manderley

Viol

La culture du viol ne connaît pas de trêve

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La culture du viol est un phénomène complexe qui tend à banaliser ce crime. Les violences sexuelles trouvent systématiquement des justifications, des excuses, et sont finalement banalisées, voire acceptées. Le terme est apparu aux États-Unis lors de la seconde vague du mouvement féministe. En réalité, jusque dans les années 1970, la question du viol était peu abordée et mal connue. Ce sont Noreen Connell et Casandra Wilson qui, en 1974, ont employé le terme « Culture du viol » dans leur livre Rape : The First Sourcebook for Women, ouvrage publié en collaboration avec le groupe des New York Radical Feminists. Ce livre est d’ailleurs l’un des premiers à proposer des récits de viol à la première personne et a contribuer à sensibiliser le public à cette question.

En France Gaëlle-Marie Zimmermann avait écrit un article très complet sur le sujet, intitulé Viols en réunion : pourquoi la parole des victimes est toujours mise en doute. Elle y aborde notamment le sujet de l’accueil au commissariat des femmes qui souhaitent porter plainte pour viol et revient sur le verdict des viols en réunion de Créteil en 2012. Les associations de lutte contre le viol cherchent de leur part à provoquer une prise de conscience sur cette culture du viol, mais aussi sur les stéréotypes véhiculés par le viol. Par exemple, le Collectif Féministe Contre le Viol a édité une page Dix idées reçues sur le viol. Malgré tout, cette culture du viol reste omniprésente, comme en témoigne l’article du Point incitant les femmes a accepter la violence.

Ce matin, nous fûmes choqué-e-s par l’installation d’une statue représentant une agression sexuelle à la vue de tous, à Caen, près du Mémorial. En effet depuis hier, mardi, une sculpture de 8 mètres s’élève devant le Mémorial de Caen en Normandie. Les USA célèbreront l’année prochaine la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans cette perspective, la Sculpture Foundation a proposé au Mémorial de Caen d’accueillir une statue qui symbolise justement cet anniversaire. Il s’agit de The Kiss, sculpture monumentale, inspirée d’une célèbre photo prise à Times Square le 27 août 1945. Il s’agit d’un couple enlacé de 8 m de haut et de 13 tonnes de bronze ; il a été installé ce mardi devant le Mémorial. La statue somme toute assez laide « sera visible depuis les différentes avenues qui viennent jusqu’ici ». Censée incarner l’euphorie de la fin de la Seconde Guerre Mondiale, cette statue de Seward Johnson s’inspire de la photographie d’Alfred Eisenstaedt,  » The Kissing sailor « .

 

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Or aujourd’hui nous savons pertinemment que cette photographie représente une agression sexuelle. C’est une blogueuse de « Crates and Ribbons » qui a attiré l’attention en 2012 sur cette photographie.

En mai 2012, un livre, The Kissing Sailor, a affirmé que les personnes sur le célèbre cliché étaient George Mendonsa et Greta Zimmer Friedman, qui l’ont confirmé par la suite. Il ne s’agirait donc pas d’un couple d’amoureux mais bien d’une agression sexuelle caractérisée. Dans le livre, la victime Greta Zimmer Friedman a en effet donné sa version des faits :

« Je ne l’ai pas vu approcher, et avant que je comprenne ce qui se passe, je me suis retrouvée enserrée comme dans un étau. » – Le Dailymail
« Je n’ai pas choisie d’être embrassée… Le mec est juste arrivé et m’a attrapée ! » – Veterans History Project
« On m’a attrapée. Cet homme était très fort. Je ne l’embrassais pas, c’est lui qui m’embrassait. » – Le New York Post

Extrait (en anglais) de l’interview sur le site du Veterans History Project :

Greta Friedman : I felt that he was very strong. He was just holding me tight. I’m not sure about the kiss… It was just somebody celebrating. It wasn’t a romantic event. It was just an event of ‘thank god the war is over’… It was right in front of the sign.

Patricia Redmond : Did he say anything to you when he kissed you ?

Greta Friedman : No, it was an act of silence.

Patricia Redmond : He just grabbed you, gave you a kiss and was gone.

Greta Friedman : Yes, we both left and went our own way.

De fait, pourquoi avoir choisi cette statue pour les commémorations normandes du débarquement ? Qui plus est cette œuvre d’art va rester un an à la vue de tou-te-s, notamment des nombreux lycées et collèges qui visiteront le Mémorial et qui auront devant leurs yeux une agression sexuelle ! On estime à 316 000 le nombre d’entrées au Mémorial rien que pour l’année 2013, ce qui laisse imaginer la grande visibilité qu’aura cette statue. Aujourd’hui nous pensons à ces routes Normandes de la liberté jonchées des corps des femmes violées sous le passage de l’armée américaine, nous pensons à ces milliers de femmes allemandes livrées à ces criminels et violées en masse.

Susan Brownmiller dans Le viol paru en 1975 chez Simon & Schuster, à New-York, et en 1976 chez Stock évoquait déjà ces crimes en temps de guerre. Elle s’était d’ailleurs rendue à Washington pour voir s’il existait des chiffres accessibles concernant le nombre d’hommes passés devant la cour martiale pour viol pendant la seconde guerre mondiale.

Trente-et-un an plus tard, un dossier rendu public (2006) a révélé que les soldats américains ont réalisé des centaines d’infractions d’ordre sexuel en Europe, dont 126 viols en Angleterre, entre 1942 et 1945. Les troupes américaines engagées ont commis 208 viols et une trentaine de meurtres dans le seul département de la Manche. Pour le seul mois de juin 1944, en Normandie, 175 soldats américains seront accusés de viols. On estime qu’il y aurait eu environ 3 500 viols par des militaires américains en France entre juin 1944 et la fin de la guerre. Une étude réalisée par Robert J. Lilly estime qu’un total de 14 000 femmes civiles en Angleterre, en France et en Allemagne ont été violées par les GI’s américains pendant toute la Seconde Guerre mondiale ! Pour l’historienne Mary Louise Roberts, qui s’est appuyée sur les archives locales (du Havre notamment) et de la propagande militaire, la réalité n’est guère reluisante : derrière les baisers reconnaissants des jeunes filles libérées immortalisés par les photographes, se cachent des viols et des agressions sexuelles, des bordels géants et pour les femmes « un régime de terreur imposé par des bandits en uniforme ». La thèse de l’historienne est la suivante : la Libération de la France fut « vendue » aux soldats américains, non pas comme une bataille pour la liberté, mais comme une aventure érotique chez des françaises nymphomanes !

Il est donc légitime de se poser la question du choix de cette œuvre d’art pour commémorer la libération et l’amitié Franco-Américaine. N’oublions surtout pas qu’ ici en France, chaque année, entre 75 000 et 240 000 femmes de 18 à 65 ans sont violées. Nous ne connaissons pas le chiffre exact des victimes mineures. Quel impact aura alors cette statue sur des potentiels agresseurs et criminels sexuels ?

A l’heure où nous écrivons ces lignes, la section d’Osez le féminisme du Calvados a également réagi à cet événement par un communiqué de presse. Nous nous en réjouissons  :

« Alors que le Mémorial de Caen s’affiche comme une cité « pour la paix », nous ne pouvons accepter qu’une agression sexuelle y soit glorifiée. En tant que lieu de mémoire, il pourrait en revanche évoquer la question des femmes pendant la Seconde Guerre mondiale et notamment : les femmes violées en Normandie par les alliés lors du Débarquement, le phénomène des femmes tondues à la Libération, les nombreuses résistantes effacées des livres d’histoires. (…) Encore aujourd’hui, plus de 75 000 femmes sont violées chaque année, une femme meurt tous les 2,5 jours sous les coups de son conjoint et le harcèlement de rue est une plaie du quotidien. Le chemin vers le respect des droits des femmes est encore long. Que le Mémorial mette en avant ces violences comme symbole de la fin de la guerre est intolérable. »

C’est donc un devoir de mémoire de rappeler à tou-te-s ce passé et de penser aux générations de femmes qui seront à nouveau massacrées.

« En tant que féministe, je porte personnellement en moi le viol de toutes les femmes à qui j’ai parlé au cours des dix dernières années. En tant que femme, je porte en moi mon propre viol. Est-ce que vous vous rappelez des images des villes d’Europe pendant la peste, quand les charrettes traversaient les rues et que des gens ne faisaient que ramasser les cadavres et les entasser dedans ? Et bien, voilà ce à quoi ressemble notre savoir sur le viol. Des piles et des piles et des piles de corps qui ont des vies entières et des noms humains et des visages humains. »   Andrea Dworkin

Manderley & Alex Vigne

Contrôle coercitif, Mères en lutte, Proposition de loi famille, Résidence alternée, Viol, Violences post-séparation

Viol conjugal et résidence alternée

« Le viol est une attaque totale à l’intégrité d’une personne, capable de la détruire et de détériorer le sens de son identité » Patrizia Romito, Un silence de mortes, p. 35

Lors des discussions à l’Assemblée nationale au sujet de la loi famille, nous avons été interpellé-e-s par des amendements déposés par des députés. En effet, Jean-Frédéric Poisson, Philippe Gosselin, Marc Le Fur, Hervé Mariton, Frédéric Reiss et  Philippe Armand Martin ont entre autres déposé des amendements allant tous dans le même sens, à savoir mettre des gardes-fous à la résidence alternée afin de protéger l’un des parents, et donc l’enfant.

Ainsi dans le détail, les amendements stipulaient :

ARTICLE
« L’article 373-2-9 du code civil est ainsi rédigé :
« Art. 373‑2‑9. – Lorsqu’il se prononce sur les modalités de l’autorité parentale conjointe, le juge désigne, à défaut d’accord amiable ou si cet accord lui apparaît contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant, le parent chez lequel l’enfant a sa résidence habituelle.
« La résidence alternée est exclue lorsque l’un des parents de l’enfant a été condamné comme auteur, coauteur ou complice d’un crime sur la personne de l’autre parent.
« Le juge peut aussi ordonner une résidence alternée si l’âge de l’enfant et si la situation parentale le permettent. Il en détermine la durée. ».

EXPOSÉ
L’article 7 pose le principe selon lequel la résidence de l’enfant sera fixée au domicile de chacun de ses parents, afin de traduire leur égalité.Pour protéger l’enfant, il faut poser des garde-fous à la résidence alternée telle qu’actuellement envisagée dans le Code civil. Des conditions doivent être introduites dans le texte pour encadrer ce pouvoir judiciaire, en particulier une condition d’âge de l’enfant, une référence à la situation parentale, et la prise en compte d’une éventuelle condamnation de l’un des parents comme auteur, coauteur ou complice d’un crime sur la personne de l’autre, la résidence alternée devant être exclue dans ce dernier cas.
Tel est l’objet de cet amendement.

Le but de ces amendements, qui ont tous été rejetés, était donc d’exclure clairement la résidence alternée lorsque l’un des deux parents de l’enfant avait été condamné comme auteur, coauteur ou complice d’un crime sur la personne de l’autre parent.

De quoi s’agit-il exactement en droit français ? En France, les crimes sur la personne sont : le meurtre, le viol (et les tentatives), les actes de tortures et de barbarie, et ils sont considérés, en principe, comme des CRIMES. De fait, les députés ne pensaient pas bien évidemment ici au meurtre mais bien à la tentative de meurtre, au viol conjugal, et aux actes de torture et de barbarie, crimes qui par leur gravité excluraient d’office la mise en place d’une résidence alternée. Or, si ces députés ont déposé de tels amendements en 2014, cela signifie bien que la justice familiale ne tient pas toujours forcément en compte les éléments de la justice pénale. Alors, est-ce à dire qu’aujourd’hui, en FRANCE, une résidence alternée peut être imposée après ces crimes ? Est-ce encore possible, en 2014, malgré la loi de juillet 2010, que des juges aux affaires familiales aient si peu d’humanité pour imposer à une victime la présence ad vitam aeternam de son bourreau ?

Pour rappel, voici les chiffres concernant les violences masculines

Témoignage :
Fin 2011, une juge aux affaires familiales a accepté à la seule demande du papa la résidence alternée une semaine / une semaine pour mon dernier enfant âgé de 4 ans.  Elle a motivé sa décision uniquement par la proximité des domiciles. A aucun moment, elle n’a tenu compte des violences, mais note cependant les mots VIOL ET VIOLENCES SEXUELLES sur le jugement. A la lecture de celui-ci, j’ai senti mes forces décliner : comment au XXIème siècle peut-on imposer ce mode de résidence à une femme après des viols ? J’ai téléphoné alors à une écoutante du CFCV (Collectif Féministe Contre le Viol), lorsque j’ai appris que j’étais assignée à résidence près de mon bourreau. Cette femme, par sa douceur et son empathie m’a sauvé la vie et m’a expliqué que les jafs confondaient conflit parental et violence conjugale. Cette résidence alternée m’assigne à résidence près de mon ancien bourreau, m’entrave dans ma recherche d’emploi, réactive le stress post-traumatique provoqué par les violences à chaque contact avec le papa de mon enfant. Il me met la pression pour m’empêcher de relancer la justice. La pratique de l’autorité parentale avec un tel parent est catastrophique. Quand j’ai lu la proposition de loi n° 1856, j’ai eu la nausée : ainsi ce que je vivais au quotidien avec cette RA imposée serait le quotidien de milliers de femmes avec l’obligation de demander, comme moi, la permission à l’autre parent pour déménager et changer d’école ?!? Nous ne pouvons pas toutes porter plainte car il reste cette injonction sociétale : c’est le père de votre enfant !  Mais que vont devenir toutes ces femmes et ses enfants qui resteront sous le joug d’un parent violent ? Protégez-les svp, pour moi c’est trop tard.

Cette femme n’avait pas pu porter plainte précisément pour les violences sexuelles, entravée dans sa démarche par l’incompétence et le mépris des intervenants masculins. Elle en avait pourtant clairement parlé à la juge aux affaires familiales, qui n’en a pas tenu compte, malgré la loi de juillet 2010. En outre, la plupart des intervenants de l’époque ont tous parlé de possible correctionnalisation, et l’ont même dissuadée de porter plainte pour les viols conjugaux car il s’agissait   » d’un mauvais viol » , c’est-à-dire selon l’idée reçue un viol qui n’a pas été commis dans la rue par un inconnu. Elle avait réussi cependant à déposer une plainte pour violences volontaires et violences psychologiques.

Témoignage :
Trois semaines après le dernier viol, 15 jours après les coups et les insultes, il m’a arraché mon bébé pour une semaine. Je n’avais jamais été séparée de lui. J’ai hurlé, hurlé aussi fort que les cris que j’ai poussé à l’accouchement où il me demandait de la fermer, parce que selon lui je devrais avoir honte de crier et que toute la maternité allait entendre et qu’il avait honte de moi. Alors j’ai hurlé, j’ai hurlé à m’exploser les poumons, pendant les viols je ne pouvais pas crier, tétanisée. Il l’avait voulu , il avait exigé cet enfant, puis il n’en voulait plus me demandant d’avorter et maintenant il me l’arrachait. Il a fait le forcing pour avoir une résidence alternée parce que la loi lui accorderait la moitié de ce bébé : « je n’aurai pas la garde parce que toi tu ne travailles pas, mais je vais l’avoir cette garde alternée, je vais tout faire pour t’assigner à résidence et toi tu vas bouffer de la merde. »

Par ces mots le criminel a poussé cette femme à faire une tentative de suicide. Rien d’étonnant. En effet, Patrizia Romito rappelle que « l’étude Enveff effectuée en France montre que le fait de subir des violences physiques, presque toujours de la part de son partenaire, multiplie par 19 le risque chez la femme d’une tentative de suicide dans les douze mois suivants ; le fait d’avoir subi des violences sexuelles multiplie ce risque par 26 (Un silence de mortes, p. 200, & Jaspard et al., Les violences envers les femmes en France. Une enquête nationale, p. 258). » Ici, la loi de mars 2002 est  instrumentalisée pour assigner à résidence une victime, lui mettre la pression après son dépôt de plainte et l’isoler socialement et économiquement afin de la garder sous emprise. L’enfant est donc clairement pris en otage par l’agresseur. La résidence alternée fut, quelques mois après , acceptée par UNE juge aux affaires familiales. L’enfant était témoin des violences à l’encontre de sa mère in utéro, il l’est toujours.

Lors des discussions pendant les débats, les députés avaient donc bien abordé ces crimes et pointé du doigt l’absurdité du manque de gardes-fous à la loi de mars 2002, en prenant l’exemple du cas le plus dramatique à savoir le viol conjugal.

Le viol a été redéfini en 1980 par le Code pénal français comme « tout acte de pénétration de quelque nature que ce soit commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise » (article 222-23 du code pénal). Mais ce n’est seulement qu’en 1990 que le viol entre époux est reconnu par un arrêt de la Cour de cassation, et en 1992 que la Cour de cassation affirme que « la présomption de consentement des époux aux actes sexuels ne vaut que jusqu’à preuve du contraire ». Le Code pénal reconnaît en 1994 comme circonstances aggravantes les viols commis par un conjoint ou un concubin. Et avec la loi du 9 juillet 2010 et son article 36 la mention de la présomption de consentement des époux à l’acte sexuel est enfin supprimée, à propos du viol entre époux. Aujourd’hui, les viols conjugaux représentent seulement 4 % des viols jugés en cour d’assises ; il s’agit d’un crime avec circonstance aggravante, qui est extrêmement fréquent. En effet, 50 % des viols commis sur les femmes adultes sont des viols conjugaux. Ils représentent environ 20 % de l’ensemble des viols quand on y ajoute les mineures, qui représentent 60 % des victimes de viols dont font partie 5 % d’hommes. Or, encore aujourd’hui les femmes n’osent pas porter plainte ou ne le peuvent pas pour les violences sexuelles. Concrètement, seulement 2 % des femmes victimes de viols conjugaux portent plainte.

Ainsi, en France, en 2014, parmi toutes les violences subies par les femmes, le viol conjugal reste bien caché malgré les récentes campagnes d’information comme celle de CFCV en 2011.  La parole des femmes victimes de violences conjugales se libère un peu plus pour dénoncer les violences physiques qu’elles subissent mais les violences sexuelles conjugales restent encore cachées par la honte, par peur de subir des représailles de l’agresseur, de ne pas être crues, par loyauté (protéger l’image du couple, de la famille et la réputation du conjoint), par doute et méconnaissance de leurs droits (l’ancienne notion de devoir conjugal a la vie dure, et les agresseurs profitent du fait que la victime connaisse mal la loi). Les mentalités évoluent lentement et le soupçon pèse lourdement sur les victimes. Sous emprise et souvent sous dépendance financière les femmes en arrivent à relativiser le viol. « Qu’est-ce qu’une relation sexuelle contrainte quand on subit les coups quotidiennement ? »  souligne Véronique Le Goaziou à la page 87 de  son livre Le viol, aspects sociologiques d’un crime. Concernant ces crimes, véritables meurtres psychiques,  Maryse Jaspard précise :

Perpétrés dans la durée, les viols conjugaux sont les plus occultés. Du domaine de l’indicible, ils sont difficilement cernables, même au travers des études qualitatives. Alors que les femmes en situation de violences conjugales décrivent en détail les humiliations, les chantages, les brutalités dont leur conjoint les assaille, elles évoquent brièvement la violence sexuelle subie (Maryse Jaspard, Les violences contre les femmes, p. 67).

Les députés avaient bien parlé de crime dans l’écriture de leurs amendements. Mais en réalité, 80 % des viols, dans leur ensemble, sont correctionnalisés.  Par un tour de passe-passe rendu plus facile encore par la loi Perben II de 2004, il ne s’agit plus la plupart du temps d’un crime, mais bien d’un simple délit, puisque il y a correctionnalisation (quand la justice ne classe pas sans suite faute de preuve).  Les femmes victimes de viols conjugaux concernées par les amendements de ces députés étaient donc peu nombreuses à pouvoir bénéficier de ce garde fou à la loi de mars 2002 ayant permit cette inhumanité.

A propos de la résidence alternée, Christine Delphy constate :

« Quand le juge impose la garde alternée, il force la personne qui l’a refusée à réussir une aventure difficile, et à voir un conjoint qu’elle ne veut plus voir ».

Le juge force donc le consentement d’un parent, le plus souvent la mère, la femme en imposant une résidence alternée. Il est  impératif, par humanité, que la justice familiale soit formée aux mécanismes d’emprise pour mieux analyser les situations. Il faut aider les victimes à verbaliser toutes les violences et les protéger, au lieu de leur demander de passer l’éponge sur cet indicible, parce qu’il s’agirait du père de leur(s) enfant(s), et les forcer à rester en contact avec cet oppresseur.

En 1943, la philosophe Simone Weil écrivait déjà :

« Le viol est une affreuse caricature de l’amour d’où le consentement est absent. Après le viol, l’oppression est la seconde horreur de l’existence humaine. C’est une affreuse caricature de l’obéissance. Le consentement est essentiel à l’obéissance comme à l’amour. »
Simone Weil, Écrits de Londres et dernières lettres

Manderley & Alex Vigne